“J’ai vu les tueurs du Brabant”

Devant nous Philippe Clerbois. Le 9 novembre 1985, les tueurs du Brabant attaquent le Delhaize d’Alost, y laissent huit victimes tuées. C’est leur dernier raid, le plus sanglant, l’apothéose. D’Alost, les tueurs en VW Golf GTI filent plein sud vers le bois de La Houssière (Braine-le-Comte). Il est 20h20.

Vers minuit et quart, deux couples traversent ce bois à bord d’une Opel Kadett. L’obscurité dans la forêt est totale, la route étroite. Assis à l’arrière, Philippe Clerbois ignore que la VW Golf foncée que les quatre aperçoivent soudain dans la lueur des phares, immobilisée devant eux sur le bas-côté droit, est celle des tueurs impliqués depuis 1982 dans vingt-huit assassinats, dont huit, trois heures plus tôt.

Clerbois avait vingt-quatre ans. Aujourd’hui cinquante-deux. C’est son témoignage le plus précis que nous livrons. “Une initiative personnelle, dit-il hier. Pour pousser d’autres à parler. Car il y a des gens qui savent et se taisent.” Et Clerbois le sait mieux que quiconque, lui qui s’est tu pendant dix-neuf ans. Témoignage aussi de la dernière chance. Car dans moins de deux ans, l’enquête s’arrêtera pour cause de prescription.

“Ils étaient trois autour de la Golf, dont deux debout. C’était la seule voiture. Ses phares étaient éteints et l’intérieur pas éclairé. Au lieu dit de la Chapelle au Foya se trouve un Y. La voiture était garée au début de l’embranchement gauche, dirigée vers le Planoit et la sortie du bois. Avec nos phares, ils avaient forcément dû nous voir arriver. Le hayon arrière est ouvert ainsi que la portière conducteur. Nous ne roulions pas vite pour éviter les nids-de-poule. Ma réaction a tout de suite été de dire à la conductrice qui ralentissait: Non, ça pue, accélère.”

“Au Y, nous étions à 15 mètres. Un des hommes debout se trouvait devant la Golf à gauche de la route et faisait de grands signes de bras comme pour signaler leur présence. C’est celui que l’enquête a surnommé le Vieux. Ensuite, en partie caché par la portière ouverte, il y avait celui qu’on a appelé le Géant. Long, mince, élancé et grand, en effet. Il a les bras pendants et porte quelque chose qu’on ne voit pas. Une arme? Enfin derrière la voiture, à terre au pied du coffre dont le hayon je le répète est ouvert, il y a une masse. Mon ex-femme qui se trouvait à mes côtés est plus précise: un corps.”

On le sait, des portraits-robots ont largement été diffusés (affiches jaunes). Pour Clerbois qui est dessinateur industriel, ces portraits sont de qualité, fiables. Ils n’ont pourtant rien donné comme résultats. Les individus portaient des vestes de type militaire, des parkas smoke qui n’étaient pas, selon lui, kaki mais “noires”. Et des bonnets.

Philippe Clerbois ajoute cette précision qu’assis à l’arrière, il n’était pas dans la meilleure position. Bien moins en tout cas que la conductrice et son passager à l’avant. Mais tous deux ont refusé et, aux dernières nouvelles, refusent toujours de témoigner. Uniquement par peur, insiste Clerbois qui a encore croisé le couple il y a quelque temps.

Lui-même, Philippe Clerbois, s’est tu pendant dix-neuf ans avant d’accepter en 2004 de se soumettre pendant nonante minutes à un témoignage sous hypnose. Le procédé a tout fait ressortir, y compris des précisions qui sont connues des enquêteurs mais pas de Clerbois lui-même, les policiers ayant refusé de les lui communiquer. Pour Clerbois, il n’est pas trop tard. “Je fais cette démarche avec vous, pour pousser ceux et celles qui savent à témoigner à leur tour.”

Bron » La Dernière Heure