Révélations fracassantes
Le Premier ministre et le ministre de la Justice de l'époque ont eu dès 2006 connaissance d'un éventuel lien entre le Bommeleeër et le réseau StayBehind. Alors que le SREL, sous la houlette de Marco Mille, en était arrivé à la conclusion que l'armée secrète de l'OTAN était responsable des attentats à la bombe et qu'il en avait informé le gouvernement, ces informations n'ont jamais été transmises à la justice.
Coup de théâtre, hier dans le procès dit du Bommeleeër après les révélations diffusées par nos confrères de RTL en fin de matinée. Selon ces derniers, le Service de renseignement de l'État, après investigations, en était arrivé à la conclusion que des agents du réseau Stay Behind étaient responsables de la série d'attentats à la bombe perpétrés sur le territoire luxembourgeois entre le 30 mai 1984 et le 25 mars 1986.
Qui plus est,d'après nos confrères, ces conclusions ont été présentées au Premier ministre, Jean-Claude Juncker, et au ministre de la Justice de l'époque, Luc Frieden, lors d'une réunion qui s'est tenue au ministère d'État entre décembre 2005 et janvier 2006. Parmi les membres du SREL participaient à cette réunion le directeur de l'époque, Marco Mille, Franck Schneider et André Kemmer. Jamais ces informations n'ont été transmises à la justice alors qu'une instruction judiciaire était pourtant en cours depuis 1998. Nos confrères révèlent également que cette réunion a été enregistrée à l'aide de la fameuse montre enregistreuse.
Me Gaston Vogel est immédiatement monté au créneau, hier, dès l'ouverture de l'audience. «Ils savent que Stay Behind est à l'origine des attentats. Et bien qu'au courant, ils n'ont pas jugé utile d'en informer la justice», s'est-il notamment offusqué en demandant que Luc Frieden soit désormais également cité comme témoin, ainsi que l'ancien président de la Cour des comptes Gerard Reuter (qui avait été démis de ses fonctions à la suite d'un scandale retentissant, malgré ses constantes dénégations).
Ce dernier a en effet fait des révélations fracassantes à nos confrères de RTL. En sa qualité de président de la Cour des comptes, l'homme avait des entrées au SREL où il avait notamment appris que la CIA serait responsable des attentats à la bombe. Gerard Reuter confirme la présence au Luxembourg de Licio Gelli, l'ancien grand maître maçonnique de la loge italienne P2, dans les années 1980 alors qu'il était recherché par la justice italienne après s'être évadé d'une prison suisse.
Enfin, l'ancien président de la Cour des comptes – qui connaît depuis des difficultés financières – révèle que le loyer de sa maison est actuellement pris en charge par la société d'intelligence économique Sandstone que dirige Franck Schneider.Et qu'auparavant, c'est le SREL qui s'en chargeait. Le résultat d'un accord qui aurait été conclu avec le Premier ministre. Frank Schneider aurait d'ailleurs bénéficié de quelques avantages en contrepartie.
Au vu de ces nouvelles informations, la présidente de la chambre criminelle, Sylvie Conter, a décidé hier de traiter le volet de l'enquête portant sur le réseau Stay Behind dès l'audience de mercredi et d'entendre les témoins relatifs à ce volet dans la foulée, Luc Frieden et Gerard Reuter compris. Elle a également ordonné que les procès-verbaux des auditions de témoins réalisées par la commission d'enquête parlementaire sur le SREL et l'enregistrement (s'il existe toujours) de la réunion secrète tenue en 2006 au ministère d'État soient versés au dossier Bommeleeër.
Bizarrement, c'est après l'audition, mardi, d'André Kemmer par la commission d'enquête parlementaire sur le SREL que le président de celle-ci avait annoncé qu'il envisageait de rouvrir le dossier Stay Behind. Le DP et déi gréng n'ont pas tardé à réagir, hier, exigeant que Jean-Claude Juncker et Luc Frieden viennent s'expliquer au plus vite à la Chambre des députés.
L'enquêteur principal, Carlo Klein, a passé en revue hier les déclarations en lien avec la piste Geiben faites lors de l'instruction par les enquêteurs et les membres de la brigade mobile de la gendarmerie. Des dépositions qui n'apportent finalement pas grand-chose au dossier si ce n'est certaines contradictions entre d'une part, celui qui était à l'époque délégué à la Sûreté, Armand Schockweiler, et d'autre part, les officiers qui l'avaient accompagné le 18 octobre 1985 à Bruxelles dans le cadre de la commission rogatoire émise dix jours auparavant.
Hasard du calendrier ou pas, le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, et le ministre de la Défense, Jean-Marie Halsdorf, ont publié, hier après-midi, leur réponse à la question parlementaire adressée par le député Claude Meisch, le 21 février, relative au réseau Stay Behind. Les ministres confirment que «des unités non spécifiquement constituées de l'Armée luxembourgeoise ont participé» aux exercices militaires baptisés Oesling et qui comprenaient des infiltrations et la conduite d'opérations de sabotage.
Les ministres soulignent toutefois que ces «exercices d'infiltration et de sabotage (...) ont été effectués par des unités militaires normalement constituées de l'Armée qui n'avaient aucun lien avec le réseau Stay Behind». Et les membres du réseau Stay Behind, rattachés au SREL, n'auraient pas reçu de formation en matière de sabotage et de maniement d'explosifs.
Bron: Le Quotidien (Lux) | Olivier Landini | 19 april 2013