Qui veut museler la juge Michel qui bouscule l'enquête sur les tueurs du Brabant?
Martine Michel, 51 ans, connait la pègre comme sa poche. Dans les prisons de Charleroi, on chuchote que la moitié des truands qui y sont coffrés l’ont été par cette spécialiste de la grande criminalité. Depuis quatre ans, la juge d’instruction s’est toutefois mise sur la piste d’une toute autre race de tueurs: des fantômes.
Martine Michel est la sixième juge d’instruction en charge des Tueries du Brabant, qui ont causé vingt-huit morts inexpliquées du 30 septembre 1982 au 9 novembre 1985. La juge avance dans la pénombre. Elle perquisitionne. Elle bouscule. Pour la première fois, le dossier épais d’1,2 million de pages a été classé méthodiquement.
Et la juge Michel est repartie aux sources du malaise, cherchant à comprendre pourquoi l’enquête avait déraillé, dès l’origine. C’est elle qui a poussé l’investigation sur ce "mystère de Ronquières" qu’une commission d’enquête parlementaire suggérait de percer, il y a plus de quinze ans. Qu’a-t-elle découvert sur les rives du canal de Charleroi, au lieu-dit "Le Large de Fauquez"?
Qu’une pêche miraculeuse de novembre 1986 avait peut-être été montée de toutes pièces. Que les armes, les cartouches, les traces imputées aux tueurs ont pu être jetées à l’eau dans le but d’embrouiller les enquêteurs de l’époque. Que ces sacs d’indices n’ont sans doute pas été abandonnés par les tueurs eux-mêmes, mais par d’autres mains. Non pas au lendemain de la dernière tuerie, celle d’Alost, le 9 novembre 1985. Mais bien plus tard, comme le récapitule ce reportage diffusé par RTL-TVI en février 2013.
Seulement voilà, la juge n°6 semble avoir touillé en eaux troubles. Depuis deux mois, Martine Michel fait l’objet de diverses manœuvres d’intimidation. "On" lui aurait suggéré de se taire. "On " laisserait même courir le bruit selon lequel le dossier lui serait retiré en cas d’indiscrétions dans la presse. C’est étrange…
Lors de sa désignation, en mai 2009, il avait été clairement choisi de jouer la carte de la médiatisation, afin de tenter de ranimer un dossier moribond. A l’époque, la juge Michel avait reçu carte blanche pour parler des Tueries, y compris à la télévision. Aujourd’hui, le black-out est décrété et les menaces de destitution sont à peine voilées. Aurait-"on" peur que la justice approche du but?
Il faut dire que la situation est particulière. Aucun média n’ose l’affirmer haut et fort. Mais le supérieur hiérarchique de Martine Michel n’est autre que son prédécesseur. Il s’agit de Jean-Pol Raynal, un homme controversé, autoritaire, qui préside depuis des lustres le tribunal correctionnel de Charleroi. Fonction de pouvoir que Raynal occupait alors qu’il était juge d’instruction en charge des Tueries du Brabant: lui et Martine Michel ont pendant plusieurs mois mené conjointement l’enquête sur ce colossal dossier.
Remontons un cran encore dans l’organigramme: Claude Michaux est l’indéboulonnable procureur général de Mons, dont dépend le parquet carolo. Michaux et Raynal? Le tandem auquel sont associées les longues années d’efforts (vains) au cours desquels les enquêteurs testaient sur le continent américain de nouvelles méthodes d’investigation, comme le fameux profiling. Alors qu’au même moment, il aurait été aussi utile d’archiver sérieusement un dossier devenu aussi touffu qu’un buisson épineux abandonné au fond d’un jardin. Une nouvelle équipe arrive, range l’improbable et relance l’enquête: forcément, ceci devait générer quelques tensions.
Virilement interrogés, les policiers de Termonde auraient développé des versions contradictoiresEt puis, Martine Michel n’a pas fait dans la dentelle en contestant les méthodes d’investigation de la cellule "Delta", localisée à Termonde et en charge d’un pan de l’enquête avant la centralisation à Charleroi. Ce sont ces enquêteurs de Termonde qui avaient notamment piloté les fouilles de Ronquières, en 1986. La juge Michel estimerait qu’il y a anguille sous roche. Là où d’autres plongeurs avaient scruté le canal, sans succès, un an plus tôt, la cellule Delta avait pu crier victoire sans trop de difficultés. Comment? Pourquoi?
Les policiers de Termonde ont été virilement interrogés par la génération Michel, en mai 2012. Ils auraient développé des versions contradictoires. Martine Michel en aurait déduit que chacun ne disait pas nécessairement la vérité. Ses interlocuteurs se seraient cabrés, se sentant suspectés. Mardi 20 mai 2013, à lire De Standaard, un policier à la retraite de la cellule Delta vient même de déposer plainte contre Martine Michel pour "abus de pouvoir".
Le tempo de cette annonce n’est pas anodin: c’est le mercredi 21 mai 2013 que la juge d’instruction a prévu de rencontrer les familles des victimes, afin de leur faire un topo de la situation. Tout porte à croire que la juge Michel évoquera ses doutes sur Ronquières – y a-t-il une manipulation avérée, un ou plusieurs informateurs, une relance totale de l’enquête?
Qu’elle éclairera les familles sur ses coups de sonde dans les milieux de l’extrême droite. Qu’elle commentera, qui sait, ses interrogatoires serrés menés auprès d’anciens patrons de la sûreté de l’Etat? Qui doivent en connaitre un bout sur de vieilles connections douteuses entre l’armée, la gendarmerie et les services de renseignement, d’une part, l’un ou l’autre groupuscule néo-nazi, d’autre part.
La ministre de la Justice devrait assister à la réunion. Annemie Turtelboom expliquera peut-être au passage pourquoi la "cellule du Brabant", établie à Charleroi, n’a jamais reçu l’accès à des documents parlementaires qui pourraient pourtant être utiles. Il s’agit des déclarations sous serment des policiers de la cellule "Delta", face à la commission d’enquête parlementaire de 1996-1997. Ce sont des extraits de huis clos parlementaires. Les versions sont-elles restées cohérentes dans le temps? Auraient-elles varié? Pourquoi la juge Michel n’obtient-elle pas l’accès à ces documents?
Bron: Apache | 22 mei 2013