Un palais de Justice - forteresse pour juger un superbandit
Ce n'est pas sans bonnes raisons que les autorités judiciaires ont décidé de transformer ce lundi et tous les jours de cette semaine la grande salle d'audience des Assises du Palais de Justice de Tongres en une sorte de place forte, de quartier à haute sécurité. Jussi Ondin, 45 ans aujourd'hui, sujet suédois d'origine hongroise, doit répondre de l'assassinat du gendarme Paul Aengeveld, le vendredi 16 janvier à 2 heures du matin. D'avoir en outre tenté de tuer trois personnes à Turnhout le 4 avril de la même année, et de s'être rendu coupable de prise d'otage. Bref, un homme qui a prouvé qu'il est capable des pires excès pour tenter de retrouver sa liberté.
Jussi Ondin avait treize ans lors de l'insurrection hongroise. Il fuit avec les siens en Allemagne. Il y fera des études techniques et deviendra soudeur. A 22 ans, il passe des vacances en Suède, et y trouve l'amour. Il épousera une blonde viking, se fixera dans ce pays, aura trois enfants et prendra la nationalité suédoise. Le métier de soudeur lui pèse lourd. Il ouvre un petit commerce d'antiquités: ce sera le début de la délinquance, car il trouve plus simple d'aller chercher sa marchandise dans des musées. A partir de ce moment, il grimpera sans cesse dans la spirale de la délinquance et de la violence, dans son pays d'adoption, au Danemark, en Italie. On trouve même sa trace au Brésil...
Le drame de Lanaken
Le vendredi 16 janvier 1987, peu avant trois heures du matin, deux gendarmes de la brigade de Lanaken (Limbourg) sont en mission de patrouille. Ils sont intrigués par la présence d'une voiture avec plaque d'identification hollandaise, occupée par deux hommes, sur le parking attenant à une institution bancaire. Ils veulent procéder au contrôle.
- Veuillez éteindre le moteur! dit le gendarme Paul Aengeveld.
- Impossible, dit le chauffeur de la voiture, qui n'est autre que Jussi Ondin, le moteur est complètement échauffé...
- Alors, descendez du véhicule et placez-vous face au véhicule, les bras sur le capot!
En réalité, si Ondin ne peut arrêter le moteur, c'est qu'il s'agit d'une voiture qu'ils ont volée en Hollande, et que c'est par un raccordement de fils qu'ils ont pu démarrer. Pendant que le policier procède à la fouille, Ondin saisit un pistolet qu'il portait au côté, à la manière des truands de Chicago, et il loge une balle dans le ventre du gendarme. Puis il fait feu sur le deuxième gendarme, qui n'a pas le temps de dégainer. Le gendarme Luc Verstappen, 29 ans, est touché à la tête. Il mourra deux jours plus tard.
Ondin était venu à Lanaken en compagnie d'un autre suédois, Istvan Hegedus, avec l'intention d'y commetre un hold-up dans une banque. Immédiatement après le drame, ils repartent vers Geleen, en Hollande. Sur place, au moment de l'intervention des services de secours, on trouve la carte d'identité suédoise d'Istvan Hegedus. Celui-ci n'avait pas opposé de résistance, et n'avait pas fait usage d'une des nombreuses armes qui se trouvaient sur les sièges arrières du véhicule. Ces hommes sont connus et fichés en Suède. Interpol fera le reste... Il ne faudra que quatre jours à la maréchaussée hollandaise pour dénicher le repaire d'Ondin et de Hegedus. Ils sont arrêtés le mardi 20 janvier 1987 à Enschede.
Prise d'otage
Mais il faut plus de quatre jours pour régler tous les problèmes d'une extradition. Ce n'est que le 25 septembre que le compagnon d'Ondin, Istvan Hegedus, sera livré aux autorités belges. Comme son rôle dans cet affaire fut essentiellement passif, secondaire, on ne le nourrira pas aux frais de l'administration pénitentiaire belge. Les Suédois le réclamaient pour des faits criminels plus graves encore, et nos policiers vont le livrer à Stockholm le 16 février 1988.
Et Ondin? Il n'a pas attendu tout ce temps pour retrouver sa liberté. Dès le 3 avril, il réussit à quitter la prison d'Amsterdam en compagnie d'un jeune détenu de 24 ans, Johannes Heeren. Moyen? Fabrication d'un pistolet postiche et prise d'otage de plusieurs gardiens... Les deux hommes obligent un automibiliste à les conduire à Breda, et ayant débarqué le propriétaire du véhicule aux abords de la frontière belge, ils poursuivent leur fuite vers Loenhout, où ils attaqueront une armurerie au cours de la nuit. Question de remplacer leur révolver en mie de pain par un vrai riot-gun et quelques autres joujoux dangereux.
Leur intention est de retourner en Scandinavie, via l'Allemagne. Mais ils s'attardent à Maaseik, attaquent un vacancier dans sa caravane, volent son véhicule et filent vers Oirschot, où ils tombent sur une patrouille de gendarmes hollandais. Echange de coups de feu. Ils s'échappent à nouveau en prenant un certain Cornelis De Kroon en otage. A Boxtel, nouvelle patrouille de gendarmes. Qu'à cela ne tienne: ils menacent de tuer leur otage. On les laisse filer... emportant même le policier Jacobus Smits comme deuxième otage. Et pour parfaire leur équipement, ils partent à bord de la voiture de la police, équipée de liaisons radio. C'est par radio qu'ils donnent leurs ordres:
- Restez à plus grande distance!
Fort Chabrol à Turnhout
Au lendemain de cette évasion mouvementée, le samedi 4 avril, la voiture des deux bandits, toujours accompagnés de leurs deux otages, est repérée par un véhicule de la gendarmerie belge à Turnhout. Excellente réaction de ceux-ci: ils commencent par demander des renforts. Ils sont coincés dans une rue proche de la Grand-Place. Echange de coups de feu. L'otage Cornelis De Kroon est blessé à la poitrine, l'agent Walter Peeters est blessé à la tête, les bandits tirent pour tuer: et c'est le compagnon de cavale de Ondin, Johannes Heeren, qui restera sur le pavé, tué par les gendarmes.
Ondin est maîtrisé. Il fera l'objet de mesures de haute surveillance. Ce lundi, il comparaîtra devant les jurés du Limbourg. M. Colla présidera cette session, le siège du ministère public étant occupé par l'avocat général Mme Fabienne Schraepen. Première apparition en assises des deux défenseurs désignés pour la défense de Ondin: Mes Frederik Réard, de Tongres, et Carlo Adams, de Maasmechelen.
Ces débats se dérouleront nécessairement dans un climat de tension né du problème de sécurité permanente imposé aux gendarmes. Car les prises d'otage dans une salle d'audience ne sont pas du roman, et Ondin s'est révélé être un spécialiste du genre.
Bron: Le Soir | 22 mei 1989