Artikel van Gilbert Dupont verschenen in La Dernière Heure van 16 September 2023:
"Voici, selon moi, l'explication possible des tueries du Brabant"
Il y a 40 ans la Belgique se reveillait sous le choc de la tuerie du Colruyt de Nivelles. Eddy Vos, qui fut chef d'enquête, dit ce qu'il en pense.
Ce dimanche, le 17 septembre, marque un douloureux anniversaire. Il y a 40 ans, 17 septembre 1983, qui tombait un samedi, les Tueurs du Brabant, lors d'un cambriolage, de nuit, au Colruyt de Nivelles (butin : 45 kilos de café, 10 litres d'huile, des boîtes de pralines), tuaient Elise Dewit et Jacques Fourez, un couple d'automobilistes qui faisait le plein aux pompes DATS 24 à l'arrière du bâtiment, ainsi qu'un des gendarmes arrivés sur place, Marcel Morue, 31 ans, son collègue Jean-Marie Lacroix échappant par miracle. La Belgique, le dimanche, se réveillait sous le choc. Dans la DH du lundi, le journaliste Raoul Dewael créait l'expression "tueurs fous du Brabant Wallon".
On ignorait, à ce moment, que 'la bande', en réalité active depuis l'année précédente, avait déjà quatre victimes derrière elle, et qu'il y en aurait 21 encore jusqu'à l'arrêt définitif des tueries, en novembre 1985. L'enquête est toujours en cours.
Depuis quarante ans.
À la retraite depuis l'an passé, le premier commissaire judiciaire Vos a codirigé la cellule Brabant wallon entre 1996 et 2011. On ne travaille pas quinze ans à temps plein dans un dossier sans se faire au moins une opinion ni avoir des hypothèses. Eddy Vos a les siennes. Pour lui :
- les objectifs poursuivis par les auteurs n'ont pas continuellement été les mêmes ; ils ont évolués.
- à côté des exécutants, il y avait des stratèges choisis à chaque fois en fonction de l'objectif recherché.
- les auteurs ont fait beaucoup d'efforts pour créer des liens, en particulier lier les faits de 1985 (les attaques contre les supermarchés) à ceux qui avaient été commis en 1982 et 1983.
- l'enquête n'aboutira pas tant qu'on "mettra tout dans le même sac".
- les tueries se sont arrêtées lorsque l'auteur principal -qui aurait tué à lui seul 23 des 28 victimes - a été tué peu après l'attaque du 9 novembre 1985 au Delhaize d'Alost.
Les hypothèses d'Eddy Vos, ancien chef d'enquête.
1. Les objectifs des auteurs ont évolué.
"Personnellement, mais cela n'engage que moi, les tueries ont été un mélange. Les objectifs ont varié et évolué. Je pense que certains faits perpétrés lors de la première vague (1982/1983) peuvent s'inscrire parfaitement dans une criminalité ordinaire de droit commun.
À l'exception d'un fait qui ressort et fait penser à de la provocation des services de police, voire de la justice: précisement celui du Colruyt de Nivelles où le couple Fourez-Dewit et le collègue Morue ont été tués le 17 septembre 1983. La deuxième vague, en 1985, était, selon moi, la récupération d'un phénomène qui s'est créé suite à la première vague."
2. Première vague = criminalité ordinaire + Colruyt de Nivelles ?
"Durant la première vague, les auteurs se constituent un support logistique. Ils se procurent des véhicules - notamment la Saab 900 volée au garage Jadot à Braine-l'Alleud -, les gilets pare-balles volés à Tamise et les armes volées chez Dekaise à Wavre, encore qu'en ce qui concerne l'armement, ne perdons pas de vue que la plupart des armes, qu'ils ont utilisées - les deux riots guns, le 7,65 mm et le .22 - ne provenaient pas de chez Dekaise, mais d'ailleurs, on n'a jamais su d'où."
3. Après dix-huit mois d'arrêt, survient la deuxième vague, celle des attaques contre les supermarchés en 1985.
"J'avoue que l'hypothèse de la 'stratégie de la tension' est tentante. En effet, basée sur la fameuse note Westmoreland, cette stratégie, que l'on a surtout connue en Italie, consistait en un 'mélange' de terrorisme et de banditisme dans le but de déstabiliser certains gouvernements en manipulant l'opinion publique. Je n'exclus pas que les auteurs se soient inspirés de cette stratégie pour commettre certains faits. On aurait alors une première vague de pur banditisme en 1982 et 1983), puis du terrorisme avec les CCC en 1984 et 1985, enfin un retour des Tueurs à la mi-1985, avec les grandes surfaces. Cela dit, je trouve personnellement que cette théorie, bien que séduisante, est trop compliquée pour expliquer le vol des bouteilles de vin dans une épicerie à Maubeuge et les meutres qui vont suivre, notamment du vieux concierge d'une brasserie à Beersel, du chauffeur de taxi à Mons, du restaurateur à Ohain et du couple de bijoutiers à Anderlues."
4. L'hypothèse du racket sur l'enseigne Delhaize.
"En ce qui concerne les grandes surfaces, je rejoins, sous toutes réserves, les dires du commissaire de la Sûreté de l'Etat Christian Smets qui a prétendu publiquement peu avant de mourir l'an passé (lire "Le dernier secret de Christian Smets", DH du 16 novembre 2022) que les attaques dans les supermarchés en 1985 s'inscrivaient dans un racket sur l'enseigne Delhaize. Je pense toutefois que comme je l'explique ci-avant, l'auteur principal ayant été tué à Alost, il n'y a pas eu de paiement. Mais il y a aussi là question à s'interroger pourquoi Smets a dit cela peu avant de mourir."
5. Les auteurs ont fait beaucoup d'efforts pour créer des liens, en particulier lier la deuxième vague à la première.
"C'est illogique. Les auteurs des faits de 1985 ont fait beaucoup d'efforts pour que l'on fasse le lien avec la première vague. C'est très anormal dans le monde criminel. C'est contraire à la logique. Ça ne cadre pas dans l'esprit d'une criminalité ordinaire. Réfléchissons. Ceux qui ont tué en 82 et 83 et que l'on n'a pas réussi à identifier au bout de trois ans n'auraient surtout pas dû laisser derrière eux des éléments pouvant les lier aux faits qu'ils avaient commis. Or c'est exactement ce qu'ils ont fait volontairement, de façon calculée, délibérée. Ils devaient avoir leurs raisons : lesquelles?
Autre chose : il y a dû y avoir un "dépôt". Je vois difficilement chaque auteur stocker chez lui son équipement ainsi que les armes volées chez Dekaise, les autres provenant d'ailleurs et les pare-balles volés à Tamise. Selon moi, ils avaient un dépôt à eux et celui qui détient le "dépôt" détient la clé de l'énigme. Il fera le lien entre les auteurs voire les stratèges, de même qu'il fera le lien entre la première et la seconde vague. Malheureusement, à ma connaissance, ce "dépôt" n'a jamais été trouvé ni celui ou ceux qui le géraient. Je fais également remarquer que la plupart de leurs armes n'ont pas été retrouvées. Elles sont toujours à rechercher. Dans celles qui ont été trouvées à Ronquières, il n'y a pas de trace notamment des riot-guns (dont on ne connaît pas non plus la provenance) ni des Ingram volés chez Dekaise."
6. Au final, quelle est votre explication ?
"Si j'avais le moindre élément concret qui permettrait d'identifier les auteurs ou leurs raisons, les magistrats l'auraient su depuis longtemps et on n'en serait pas là. Selon moi, la vraie raison des faits du Brabant wallon doit se trouver dans la première vague, et si je pense surtout au fait qui se démarque, celui de Colruyt de Nivelles. Je suis persuadé que les auteurs savaient très bien comment manipuler une enquête judiciaire, lier volontairement les faits et brouiller les pistes. Certains objets qu'ils ont abandonnés ont dirigé les enquêteurs dans différentes directions, sans résultat. De même, les auteurs ont cherché à impliquer différents services de police et de gendarmerie ainsi que plusieurs arrondissements judiciaires- qui plus est : néerlandophones et francophones - pour encore mieux tout brouiller. Je ne crois pas au hasard !"
7. Oublier le "Grand Complot"
"En tout cas, une hypothèse qui me semble complètement exclue, celle du Grand Complot. Le Grand Complot ? Des centaines de magistrats, enquêteurs, experts, auraient travaillé quarante ans dans le seul but de saboter l'enquête et se seraient couverts pour empêcher que la vérité sorte ?
Restons sérieux, SVP. Je ne parle pas uniquement de ma période durant laquelle j'étais un chef d'enquête, mais de celles aussi qui ont précédé et ont suivi. Tous, nous n'avons eu qu'une seule motivation : trouver les réponses. Je pense enfin qu'aujourd'hui, plus de 41 ans après le premier fait, il est temps de songer à jeter l'éponge, sauf naturellement si l'enquête nous réserve une surprise avant la prescription dans deux ans. Je serais alors le premier à sabrer le champagne."
Bron: La Dernière Heure | Gilbert Dupont | 16 September 2023