Le "Scorpion" a-t-il brûlé pour éviter la faillite?
Les deux incendies criminels qui en 1985 et en 1987 ont ravagé les locaux de l'imprimerie "Le Scorpion" à Strombeek-Bever et à Verviers n'ont plus rien de mystérieux pour les enquêteurs après les déclarations faites la semaine dernière par Louis Cappelen ainsi que par un certain Francis R. de Bruxelles.
Interrogés par le juge d'instruction Van Espen, les deux hommes ont été inculpés d'incendie volontaire de nuit dans un immeuble inhabité. Ils n'ont toutefois pas été placés sous mandat d'arrêt. A la suite des informations recueillies auprès de ces deux personnes, les autorités judiciaires disposent maintenant de renseignements précis concernant ces deux incendies.
Le 2 mai 1985 vers 1h30 du matin, les locaux de l'imprimerie "Le Scorpion" de Strombeek-Bever étaient ravagés par un incendie causant des dégâts matériels importants (95 millions de F). Privilégiant la piste criminelle (externe ou interne à l'entreprise), les enquêteurs se perdaient cependant en conjectures et ne parvinrent pas dans un premier temps à élucider l'affaire. Celle-ci avait causé un préjudice important à l'entreprise insuffisamment couverte par ses assurances en matière de pertes d'exploitation.
Le 12 décembre 1987 vers 4h30 du matin, un second incendie ravageait les locaux du Scorpion, mais à Verviers cette fois, dans les anciennes installations des éditions "Marabout". Les flammes qui s'étaient propagées aux ateliers ainsi qu'aux réserves de papier y causèrent des dégâts nettement plus importants qu'à Strombeek. L'estimation de l'époque se montait à 330 millions répartis en 40 millions pour la perte du bâtiment, 260 millions en ce qui concernait le matériel d'impression et une trentaine de millions pour la perte de marchandises diverses.
L'entreprise, couverte cette fois-ci par des assurances relatives aux cas de "chômage commercial" réclamait à titre de dédommagements provisionnels une somme de 220 millions... Quatre jours plus tard, la société anonyme "Le Scorpion" était déclarée en faillite à la suite de pertes évaluées à 160 millions de francs et ce malgré l'augmentation de capital intervenue trois mois plus tôt. Une augmentation de capital portant sur une cinquantaine de millions. En mars 1988, le tribunal devait reporter la dite faillite et accordait une procédure de concordat.
L'enquête menée par les autorités judiciaires à la suite de différentes informations anonymes a abouti à l'ouverture d'un dossier financier chez le juge d'instruction bruxellois Van Espen. Celui-ci a constaté de multiples carences dans la gestion de l'entreprise ainsi que diverses falsifications comptables. Des livres de comptes auraient également été mal tenus.
Poursuivant leur enquête concernant les deux incendies, la police judiciaire a interpellé deux des trois personnes soupçonnées d'être à l'origine du double sinistre: Louis Cappelen et Francis R. Entendus par le magistrat la semaine dernière, ils sont tous deux passés aux aveux et ont été inculpés. Au cours de leur interrogatoire, les deux hommes ont expliqué avoir agi sur "commande". D'après eux, ce serait le patron de l'imprimerie qui leur aurait demandé de mettre le feu aux installations de la société. C'est ainsi qu'à Strombeek, les incendiaires auraient pénétré dans les locaux via une fenêtre laissée ouverte à leur intention. Ils ont encore précisé qu'une somme d'un million leur avait été promise pour ce "service". Ils parlent également d'un intermédiaire.
Interrogés à leur tour par les enquêteurs, le patron de l'imprimerie et l'intermédiaire en question nient énergiquement toute participation aux deux incendies et affirment ne rien avoir demandé aux deux hommes. Le troisième complice de l'incendie de Strombeek n'a pas pu être entendu par les forces de l'ordre. Et pour cause: Ghislain Hinderyckx a été abattu de six balles le 2 juillet 1988 à Furnes. En savait-il trop? Allait-il parler? Il semblerait qu'avant d'être abattu celui-ci aurait avoué à un gendarme qu'il comptait bien se "mettre à table" et tout révéler sur "Le Scorpion" ...
Bron: Le Soir | Christian Du Brulle | 27 November 1990