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Une manipulation de l’enquête sur les Tueries du Brabant dès 1986? La 'police des polices' est sur le coup. Le Comité P veut crever l’abcès, enfin.
Trente ans après la pêche miraculeuse de Ronquières, vingt ans après l'interrogatoire serré du Parlement, un policier subit les assauts du Comité P, la "police des polices". En toute discrétion, enchaînant des auditions parfois très longues, ces hommes habitués aux tâches délicates ont eux-mêmes pris le relais de la spécialiste du grand banditisme Martine Michel, sixième juge d'instruction à affronter l'énigme des Tueries du Brabant (28 meurtres non élucidés, de septembre 1982 à novembre 1985).
Des parlementaires, des magistrats, d'autres enquêteurs, donc, se succèdent auprès d'un ancien membre de la cellule d'enquête "Delta", localisée à Termonde. C'est cette équipe qui, le 6 novembre 1986, a sabré le champagne après les découvertes effectuées au lieu-dit large de Fauquez", à Ronquières: des armes ayant servi lors des Tueries, des parties de butin ramenées des supermarchés cambriolés, des pièces à conviction menant vers les auteurs des faits.
Finissant aujourd'hui sa carrière à la police fédérale de Flandre-Orientale, V. était à l'époque chargé de la gestion des indicateurs. Il était membre des sections d'information criminelle (SIC), spécialisées dans la collecte d'informations dans les milieux criminels, entretenant comme dans les films des contacts réguliers avec des "indics" pas toujours très nets. Il est l'un des personnages clés de la plongée victorieuse dans les eaux noires du canal de Charleroi et de son compte rendu. Au même endroit, d'autres enquêteurs (de Nivelles) avaient cherché sans trouver au lendemain de la dernière tuerie, celle du Delhaize d'Alost, le samedi 9 novembre 1985 (huit morts). Des témoins avaient vu des ombres jeter de gros sacs dans le canal.
RONQUIÈRES: MAINTENANT OU JAMAIS?
Dans des circonstances qui restent mystérieuses, tant les versions divergeraient, les enquêteurs de Delta ont revisité à douze mois d'écart un procès-verbal obtenu auprès de l'adjudant servant d'officier de liaison entre les cellules policières de Nivelles et de Termonde. La simple lecture de ce document rédigé de manière traditionnelle, sans sous-entendus ni langage codé, aurait alors permis de guider des plongeurs vers le bon endroit.
Interrogés un à un par la juge d'instruction Martine Michel, en 2012-2013, les membres de la cellule Delta campent sur cette version officielle: il n'y a pas eu d'indicateur et encore moins de manipulation; les plongeurs de Termonde étaient plus efficaces que ceux de Nivelles. Point. La juge d'instruction carolo Martine Michel, l'actuel chef d'enquête de la cellule Brabant wallon et les procureurs généraux chargés de coordonner les recherches n'en croient pas un mot. Ils ont relu, eux, le rapport final de la cellule d'enquête parlementaire de 1997 qui recommandait de mener une "instruction complémentaire" sur la possible manipulation de Ronquières.
Le Parlement avait osé le mot qui résonne désormais comme une évidence dans les milieux de l'enquête: s'il n'y a pas eu d'indicateur comme ces policiers l'assurent, c'est qu'ils ont été "manipulés" comme l'évoque le rapport parlementaire, à la page 44, ou qu'ils ont eux-mêmes détourné l'enquête de son cours normal. Ces hypothèses s'apparentent bien entendu à de terribles accusations.
Parce qu'elle insistait un peu trop, la juge d'instruction Martine Michel a été mise en cause par les policiers suspectés ou par leurs avocats, qui ont déposé une plainte contre la magistrate trop curieuse, en octobre 2013. L'affaire a alors pris un tour communautaire. Le spectre d'une nouvelle guerre des polices a revu le jour. Les anciens chefs d'enquête, débarqués l'arrivée de Martine Michel, se sont sentis décrédibilisés. Idem pour l'ex-juge d'instruction de Termonde Freddy Troch: il a défendu des hommes dont la commission d'enquête parlementaire de 1997 se demande pourtant s'ils lui ont dit toute la vérité. Bref, les eaux de Ronquières ont à nouveau englouti leur secret.
Restait l'option de la dernière chance: il y a quelques mois, il a été décidé de mobiliser le fameux Comité P. Celui-ci intervient dans le cadre d'un dossier ouvert au parquet de Charleroi pour faux et omission. La police des polices agit avec (presque) tous les pouvoirs d'un juge d'instruction, sauf celui de contrainte. En clair, le Comité P ne peut placer les anciens membres de Delta, par exemple, sous mandat d'arrêt. Mais les interrogatoires seraient menés avec une réelle volonté d'aboutir. Ils sont assimilés à l'une des dernières tentatives d'arriver en ligne directe vers les Tueurs ou ceux qui les auraient protégés.
MANIPULATION, MAIS POURQUOI?
Car, à l'examen des sacs repêchés à Ronquières, la cellule du Brabant wallon estime disposer de la seule vraie piste d'enquête fondée sur une base scientifique. Ces sacs ont en effet été soumis à l'Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC), il y a plus de deux ans déjà. Et ce laboratoire réputé a établi que le contenu des sacs n'aurait pu se trouver dans son état s'il était resté davantage que quelques jours ou quelques semaines dans l'eau. Cela signifie assez logiquement qu'en novembre 1986, les policiers de Delta avaient d'autres raisons - que la "simple relecture du dossier" - de solliciter une deuxième fois des plongeurs. "On" leur avait donné l'information selon laquelle il y avait des indices à récupérer à ce moment-là.
Ou alors ils ont décidé de brouiller les pistes en jetant eux-mêmes les sacs à l'eau. "Nous savons désormais avec certitude que la cellule d'enquête Deltacache certaines choses", avaient confié à Soir Mag lesprocureurs généraux Ignacio de la Serna (Mons) et Christian De Valkeneer (Liège) dans une interview publiée le 21 octobre dernier. Ces deux magistrats chapeautent la plus longue enquête de l'histoire criminelle de ce pays. À leurs yeux, Ronquières reste 'le" nœud de l'enquête, 'la' piste réellement prometteuse. "ll faut que ces policiers parlent, ajoutaient-ils dansl'interview. Mais nous sommes dans un État de droit. Vous comprendrez qu'au vu de l'émotion populaire et de l'intérêt médiatique pour cette enquête délicate, il nous est difficile de faire plus qu'exercer une pression maximale pour qu'ils disent la vérité."
Nous y voilà donc: le Comité P monte dans les tours. Suspense, donc. Pourquoi autant d'abnégation?
Il est anormal que la découverte deces sacs bourrés d'indices n'ait débouché sur... rien. Au contraire, le juge d'instruction Troch (Termonde) a déclaré il y a quelques années "qu'il aurait été préférable de ne rien trouver". Suite à la pêche de Ronquières, personne n'a été interpellé. L'enquête s'est enlisée et la présence d'éléments matériels renvoyant aux premières comme aux dernières tueries a construit le mythe d'une seule bande de tueurs. Il a fallu plus d'un quart de siècle pour ouvrir les yeux: les enquêteurs actuels considèrent qu'il y aurait eu des intervenants différents; plusieurs bandes impliquées, donc.
La cellule du Brabant wallon continueà s'interroger sur le soin méticuleux avec lequel ces indices de Ronquières avaient été découpés ou démontés. Pour finalement... tout réunir en vrac ! C'est le cas d'un gilet pare-balles volé auprès d'une firme de Tamise ainsi que des armes subtilisées à deux gendarmes croisés par les tueurs à Nivelles.
Lorsqu'ils ont été bousculés par lajuge Martine Michel, il y a deux ans, les policiers de Delta/Termonde auraient multiplié les incohérences, tout en se rejoignant sur une sorte de version officielle: "Seule la relecture du dossier ... etc." Comme s'il y avait eu une forme de consigne visant à noyer le poisson.
La cellule Delta se serait-elle sabordée? Fallait-il la déstabiliser ou l'orienter vers de fausses pistes? C'est l'ex-juge d'instruction Freddy Troch qu'il faudrait réécouter. Celui-là même qui pourrait avoir été trompé par ses propres enquêteurs de Delta, selon l'enquête parlementaire. Dessaisi du dossier dans des circonstances troubles, en 1990, le juge Troch traquait de tout près la bande criminelle dirigée par le truand Philippe De Staerke, souvent cité, jamais inquiété dans ce dossier mammouth.
Il estimait qu'une forme d'organisation guidée par des idées d'extrême droite devait être à la manœuvre de ces tueries visant à déstabiliser le pays et recourant à différentes bandes. 'Troch aurait aussi voulu percer le mystère de la Sûreté de l'État, dont le n°2 de l'époque formait les groupement néo-nazi Westland New Post. À 25 ans d'écart, les juges d'instruction Martine Michel et Freddy Troch, que tout semble opposer, partagent en réalité les mêmes convictions.
Bron: Le Soir Mag | 16 december 2015