Latinus: le rapport de l'expert penche pour un suicide...
La commission parlementaire d'enquête sur le banditisme et le terrorisme doit revoir le collège des trois magistrats pour débattre des conclusions sur les dossiers du double assassinat de la rue de la Pastorale en 1982 et sur un des premiers crimes des tueurs, l'assassinat du taximan Angelou, abattu en 1982 sur le bord de l'autoroute et retrouvé recroquevillé dans le coffre de son taxi à Mons. Nous avons évoqué (Le Soir de vendredi) le rapport de l'expert M. Trousse sur l'attaque de l'armurerie Dekaise en 1982. L'expert M. Casier a aussi déposé un double rapport sur le décès suspect du chef du WNP Paul Latinus en 1984.
On sait que sur injonction du ministre de la Justice, le dossier Latinus, clôturé en hâte à Nivelles début novembre 1986 sur insistance du parquet général de Bruxelles, est actuellement rouvert aux fins de savoir s'il existe des éléments nouveaux qui peuvent justifier son renvoi à l'instruction. Ce n'est évidemment pas sur cette question qu'a travaillé l'expert de la commission d'enquête M. Casier, qui s'est attaché à décrire et à commenter la manière dont l'enquête a été menée.
Ce qui est établi, c'est que le 24 avril 1984 vers 21h25, Latinus est rentré en taxi (il a laissé 1.000 F au chauffeur, pour une course de 310 F) seul chez lui, au 6 rue de Limauges à Court-Saint-Etienne, que sa clé était sur la porte fermée de l'intérieur, qu'il avait griffonné sans doute à l'adresse de sa compagne Mireille sur un périodique retrouvé au salon: Comme tu n'as pas téléphoné, je suppose que tu reviendras par tes propres moyens. En rentrant ce soir-là, Mireille l'a retrouvé pendu au fil du téléphone, dans le cave.
Aucun élément ne trahit l'intervention de tiers. Si l'on soulève cette hypothèse, il faut alors envisager l'intervention de plusieurs personnes (pour maîtriser Latinus sans laisser de désordre ni de traces) et celles-ci devaient bien connaître les lieux, note M. Casier. L'incertitude sur la position du corps (pendu ou dépendu, pieds dans le vide ou touchant le sol) rend le constat des faits difficile: il eut fallu éclaircir la version de Mireille Van Houtvinck et mener immédiatement une enquête approfondie dans le voisinage. Il n'a pas été procédé aux examens minutieux qui s'imposaient. Il n'y a pas eu de descente du Parquet sur les lieux. L'autopsie a été superficielle. Le corps a été inhumé sans même avoir été pesé. Il a fallu se baser sur l'estimation de poids donnée par la mère de Latinus pour procéder plus tard aux expériences de traction sur le fil du téléphone! Le juge d'instruction aurait dû mettre tout en oeuvre pour déterminer si Latinus avait été pendu ou étranglé, selon une technique décrite post mortem par son ancien lieutenant du WNP Marcel Barbier.
Alors qu'immédiatement après la découverte du corps, aucun verbalisant n'a signalé la présence d'un chien dans la propriété, une voisine déclarait, dix-sept mois après les faits, que le chien de Latinus avait aboyé. De même l'enquête ne s'est pas attachée aux détails de la dispute entre Latinus et son amie, dans un café, peu avant la pendaison. Il semble, note M. Casier, que le dernier consommateur (Willy G.) à avoir parlé à Latinus avant son départ en taxi n'ait jamais été interrogé. De même on n'a jamais demandé aux clients pourquoi Latinus avait pris un taxi alors qu'il avait sa voiture.
Le rapport de M. Casier observe aussi qu'un certain nombre d'éléments peut-être liés au décès de Latinus n'ont pas été assez vérifiés, notamment une lettre signée "Christian" (est-ce Christian Elnikoff, le vieux du WNP?) sur le malaise au WNP, trouvée chez l'amie de Latinus, la disparition du "dossier Pinon", une lettre de Latinus départageant les membres "fiables" de la Sûreté et mentionnant les noms d'agents qui auraient été complices du départ de Belgique de Jean-Marie Paul, au lendemain du crime de Laeken en décembre 1980. En janvier 1985, le juge Schlicker avait chargé la BSR de Wavre d'enquêter sur les militants du WNP et leurs relations avec des membres de la Sûreté, ainsi que sur une implication éventuelle de services secrets, notamment israéliens. L'expert ne relève pas que certains de ces devoirs prescrits ont été ensuite décommandés, ce qui jeta un "froid" entre le juge et ses enquêteurs.
M. Casier parle d'une instruction lente, incomplète, superficielle et tendancieuse. Il n'y avait pas assez d'éléments pour dire que la pendaison n'était ni un crime ni un délit et qu'il n'y avait plus lieu à poursuivre. L'enquête pourrait être complétée sans certitude cependant de pouvoir expliquer la mort de Latinus.
M. Casier déplore le manque de coordination entre le juge Schlicker à Nivelles et le juge Lyna à Bruxelles, qui a procédé aussi à des actes d'instruction. Suicide ou crime? Impossible à dire, mais les données connues semblent plutôt confirmer la thèse du suicide, conclut-il.
Bron: Le Soir | René Haquin | 30 september 1989
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