LA PARTICIPATION BELGE AU RESEAU DE RENSEIGNEMENTS CLANDESTIN DE L’OTAN (1949 – 1990) STAY BEHIND
« JE SERVIRAI LA LIBERTE EN SILENCE »
I. L’ORIGINE
A l’issue de la deuxième guerre mondiale plusieurs nations souhaitent éviter la répétition, en cas de nouveau conflit, de certaines déficiences constatées en 1940. Ces pays, poussés par les tensions politiques de l’époque et la menace que représente le bloc communiste, décident, entre autre, de mettre sur pied une organisation chargée d’anticiper une nouvelle occupation. Cette structure, mise en place dès le temps de paix, doit constituer la base d’une résistance efficace qui pourrait se développer en cas de nécessité.
Le principe de base est simple: si un état est envahi, son gouvernement légitime se réfugie en territoire allié libre. Les réseaux, recrutés, équipés et entraînés dès le temps de paix, deviennent immédiatement opérationnels, leurs actions commandées et coordonnées par les autorités en exil.
Stay behind ou réseau dormant naît, en 1949 (illustration: Europe en 1950), par un accord tripartite Grande-Bretagne, Belgique, Etats-Unis. La même année voit la création du Comité clandestin de l’Union occidentale, qui sera, au fil des années, rebaptisé Clandestine Planning Committee, Coordination and Planning Committee (CPC) et enfin, en 1958, Allied Coordination Committee (ACC).
Les nations adhèrent par vagues successives. Aux membres de l’OTAN se joignent quelques pays neutres. Au final, Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse et Turquie sont membres de l’ACC.
II. LE STAY BEHIND EN BELGIQUE
Contrairement à la majorité des autres nations, la Belgique a connu une organisation Stay behind à la fois civile et militaire. Cette situation trouve son origine dans la répartition des activités clandestines durant la seconde guerre mondiale, orientées recherche et transmission d’informations pour la Sûreté de l’Etat et actions armées pour la Défense nationale.
Le Comité ministériel de défense définit, en 1951, les missions de chacun dans le cadre des réseaux dormants.
Pour la Sûreté de l’Etat :
- le renseignement d’ordre politique, économique et social ;
- la liaison entre le Gouvernement à l’étranger et les noyaux de résistance civils dans le pays ;
- la guerre psychologique, y compris la presse et les radios clandestines ;
- le service de contre-information destiné à la protection de ces activités ;
- l’organisation de liaisons et de lignes d’évacuation nécessaires à ces missions.
Pour Les Forces armées :
- le renseignement d’ordre militaire ;
- la contre-information ;
- les actions de sabotage d’objectifs militaires, la collaboration avec des éléments des forces armées alliées ;
- les actions paramilitaires, l’armée secrète et la guérilla ;
- l’organisation des liaisons et de lignes d’évacuation.
Les activités Stay behind sont confiées à deux services créés pour l’occasion : le STC/Mob (Section training communication et mobilisation) de la Sûreté et le SDRA VIII (Service de documentation de renseignement et d’action VIII) du Service du renseignement et de la sécurité militaire (SDRA puis SGR). Un Comité « Interservices » sera, par la suite, chargé de coordonner l’ensemble.
Un SDRA XI voit le jour en 1966, lorsque, suite au déménagement de l’OTAN vers Bruxelles, la Belgique prend en charge le secrétariat permanent de l’ACC.
II. 1 LE STC/Mob
Le STC/Mob est entièrement séparé des autres services de la Sûreté et dépend directement de l’Administrateur Général (AG), lui-même sous la dépendance du Ministre de la Justice.
Les membres permanents de la section ou «instructeurs», sont désignés par l’AG au sein des fonctionnaires de la Sûreté. Ils ont la connaissance des principes généraux de sécurité, des communications radio, du cryptage et de l’établissement de contacts clandestins. Certaines formations complémentaires se donnent en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
L’activité des instructeurs se limite à l’entraînement et à l’administration de leurs agents. Selon les périodes leur nombre varie de cinq à huit. Chacun a recruté, formé, et entraîné une dizaine d’agents.
Le recrutement est pratiqué de façon à assurer la couverture du territoire par région et ce suivant les besoins rencontrés : la recherche du renseignement, la liaison radio ou les filières d’infiltration et d’évasion. Les premiers recrutés sont d’anciens résistants, souvent ex-membre de l’Armée secrète. Par la suite, les candidats proviendront de l’entourage ou des connaissances de l’instructeur ou d’un intermédiaire de confiance tenu alors dans l’absolue ignorance de la finalité de son intervention.
Un bon agent doit posséder une personnalité affirmée et un potentiel certain, passer facilement inaperçu, posséder ou pouvoir recueillir rapidement des informations sur des objectifs importants, être honorablement connu et avoir une vie sociale stable sans problèmes financiers. Il ne peut être engagé politiquement, doit être profondément patriote, anticommuniste et par définition prêt à prendre des risques importants.
L’intéressé ainsi que sa proche famille ne peut avoir de casier judiciaire ou être négativement connu de la Sûreté. Enfin, l’enquête de sécurité les concernant doit se révéler favorable.
Le dossier d’une possible recrue est soumis pour avis au chef du STC/Mob puis à l’AG qui décide ou non d’autoriser son approche et son éventuel recrutement.
Le cloisonnement horizontal et vertical est de rigueur, en temps de paix comme il le serait en temps de guerre. Hors l’AG, son adjoint et le personnel de la Section, aucun membre de la Sûreté ne connaît les activités du STC/Mob. Un instructeur ne connaît pas les agents des autres instructeurs, les agents ne se connaissent pas et sont tenus à l’écart de toutes les activités de la Sûreté.
En cas d’invasion, les instructeurs se replient à l’étranger. Les agents devenus autonomes ne communiqueront entre eux que par code ou par boite aux lettres mortes. A ces agents, sous leur unique responsabilité, d’en recruter d’autres et de développer leurs propres réseaux, en respectant à la lettre les règles de sécurité d’usage.
Outre les stages de base, la formation d’un agent du STC/Mob est essentiellement pratique et adaptée à sa spécialité. Le maniement des armes en a fait partie jusqu’en 1968 pour être ensuite supprimé. A ses débuts, l’équipement provient essentiellement des surplus de guerre. Dans les années 50, des caches d’armes et de carburant sont créées et approvisionnées. Elles seront toutefois abandonnées, le matériel récupéré et détruit après qu’en 1957 l’une d’elle ait été découverte suite à un glissement de terrain et une autre en 1959 par des enfants.
Les radios constituaient le seul équipement réellement distribué. Les postes d’origine « morse high speed system» resteront en service jusqu’en 1984, date à laquelle ils seront remplacés par les « harpoon ». Ces postes ultra-modernes, aisément transportables, développés, sur commande, par AEG Telefunken, ont une portée de 6000 Km et utilisent un cryptage pratiquement indéchiffrable.
Près de deux mille pièces d’or... Il s’agit de la dotation remise, à la fin des années 40, par les services américains (CIA) et britanniques (Intelligence Service), à la Sûreté, afin de favoriser l’évasion des autorités. Une partie est remise aux agents, le reste conservé dans le coffre de l’AG. Le tout a, depuis, été remis à la Trésorerie de l’Etat. L’aide financière anglaise et américaine se poursuit jusque dans les années 70.
Par la suite, les activités du STC/Mob sont entièrement financées par le budget interne. Les frais de fonctionnement comprenaient, outre les indemnités des instructeurs, les notes de frais des agents. Les comptes sont soumis mensuellement au Ministre.
Le seul investissement hors budget réalisé par la Sûreté pour son organisation Stay behind est l’achat des « harpoon», décidé par le Conseil des Ministres, pour un montant de 50 millions de francs.
A sa dissolution, le STC/Mob compte sept instructeurs, pour 54 agents. La plupart des agents sont dans la quarantaine, plus de la moitié sont cadres dans le secteur privé, les autres parastataux, indépendants, chefs de PME ou fonctionnaires.
II.2 SDRA VIII
C’est au Service Action du SDRA que revient la mission de recruter et de former le réseau de résistance Stay behind version militaire. SDRA VIII est placé sous le commandement direct du Chef du Service du renseignement et de la sécurité militaires.
Dans un premier temps, suite à l’expérience de la seconde guerre mondiale, le service se compose d’anciens parachutistes formés aux missions de harcèlement et de sabotage. Au début des années 60, le service évolue. Les missions sont revues et redéfinies: la recherche du renseignement, les réseaux radio, les filières d’évasion, l’encadrement des Forces spéciales, les opérations d’infiltration et d’exfiltration reçoivent la priorité. Des agents non militaires de tous les milieux et de toutes les professions sont alors recrutés. Les missions de sabotage seront définitivement abandonnées en 1970.
Il peut alors être distingué au sein du service une structure interne et une structure externe. Comme à la Sûreté, un cloisonnement sécuritaire horizontal et vertical est strictement appliqué. Outre l’administration, trois fonctions sont exercées en interne : officier traitant chargé de l’instruction et de l’entraînement des agents, instructeur radio et officier recruteur. Ce personnel, jusqu’au début des années 80, provient essentiellement des unités para-commandos. Par la suite, il sera fait appel à du personnel d’autres unités. Le choix se fait par cooptation et/ou recommandation: les militaires se voient donc désignés par le SDRA (SGR) et non recrutés. Il est évidement tenu compte des qualifications de chacun, notamment dans le domaine des communications radio, de l’expérience du travail clandestin, du parachutisme, de la plongée sous-marine, etc. L’enquête de sécurité doit se révéler irréprochable.
Chaque nouvel instructeur suit une formation complémentaire de plusieurs mois, donnée par les autres membres de la section, afin de perfectionner ses propres qualifications et d’assimiler les règles de sécurité et les différentes techniques du renseignement clandestin. Cette formation est complétée à l’étranger, principalement en Grande-Bretagne. Ces militaires, après leur passage à SDRA VIII, se doivent d’exercer leurs activités de manière à ne pas éveiller les soupçons ou la curiosité de leurs collègues ou anciens collègues.
Le personnel affecté au réseau Stay behind y restait en général une longue période, ce qui évitait le problème récurrent du remplacement. La structure externe se composait des agents recrutés.
Le recrutement est de la responsabilité du Chef du SDRA VIII, qui définit les besoins, suivant la mission et la zone géographique. Les recruteurs dressent alors le profil correspondant et établissent une liste de candidats potentiels, ce qui pouvait prendre de quelques semaines à plusieurs années.
Les personnes recherchées sont des citoyens dans la quarantaine, à la parfaite honorabilité, possédant une bonne maturité et des revenus stables. Le candidat ne peut faire partie d’une quelconque organisation politique ou autre ni être connu du grand public. L’on évite de faire appel à des militaires ou d’anciens militaires ou à toute autre personne pouvant avoir des obligations légales en temps de guerre. En cas de nécessité, une enquête de sécurité est menée par les services internes du SDRA (SGR).
Sur base du dossier, le Chef du SDRA VIII décide d’autoriser l’approche, les premiers contacts et enfin le recrutement. Le candidat est confié à son officier traitant. Le recruteur, lui, s’efface définitivement.
Les agents reçoivent une formation générale propre aux activités du renseignement, les principes et procédures de sécurité, l’identification du matériel et de l’armement, comment détecter une filature et s’en débarrasser, un entraînement au tir, etc. L’instructeur radio se charge de la formation spécifique au cryptage, au maniement des émetteurs et à l’utilisation des boites aux lettres.
Vient alors la formation spécifique. Si l’agent de renseignement (Operational Clandestine Intelligence : OCI) approfondit ses connaissances des secteurs économiques stratégiques et des moyens de déplacement ou de transport, l’agent d’encadrement (Escape and Evasion : E&E) assimile, lui, la gestion du personnel et du matériel en transit dans une zone occupée par l’ennemi. Ces agents, futurs chefs de réseau en cas de conflit, sont également entraînés aux méthodes de recrutement, de formation et d’encadrement de sous-agents.
Unité militaire, SDRA VIII dispose du matériel standard, complété par de l’équipement spécifique, tel que matériel vidéo, de parachutage ou de plongée. Si des caches destinées à recevoir du matériel et de l’armement ont été aménagées, elles n’auraient jamais été alimentées. Fin des années 40, des containers d’explosifs destinés aux opérations de sabotage sont achetés aux Anglais. Régulièrement reconditionnés, ils restent opérationnels jusque dans les années 70, puis, suite à la réorientation des missions, détruits. Des pistolets ont été distribués aux agents; tous ont été restitués scellés intacts.
Devoir de confidentialité oblige, l’instruction est dispensée dans deux villas gérées par l’armée. Un appartement a également été loué pour une courte période. Les déplacements s’effectuent régulièrement en véhicules banalisés de service.
Le fonctionnement de SDRA VIII a été financé exclusivement par le budget du Service de renseignement militaire, y compris l’achat des « harpoon » pour un montant de 105 millions de francs (contrairement au STC/Mob qui a bénéficié, sur décision du Conseil des Ministres d'un fond spécial de 50 millions). Au moment de sa dissolution, le budget annuel de fonctionnement de la Section se montait à quatre millions de francs. Le budget, contrôlé trimestriellement, était soumis au Ministre de la Défense nationale, puis à la Cour des Comptes. Aucun fond n’a été distribué aux agents en prévision d’une occupation du territoire.
La section se composait en 1990, d’une quinzaine de militaires actifs, d’une dizaine de retraités et d’une quarantaine d’agents.
II.3 SDRA XI, LE LIEN AVEC L’OTAN
Il est ici nécessaire de revenir aux origines de Stay behind. Le Comité Clandestin de l’Union Occidentale (CCUO) est donc créé en 1949. Cette structure indépendante, asexuée politiquement, permet l’intégration de nations non alignées ou neutres.
Il est évident qu’au fil du temps, des liens de plus en plus étroits se sont liés avec l’OTAN et plus spécialement avec le Clandestine Planning Committee (CPC), qui gère alors le groupe de travail «réseaux clandestins». L’intégration officielle du CCUO au CPC ne peut toutefois être officialisée, certaines nations n’étant ni à l’époque ni d’ailleurs de nos jours membres de l’Alliance.
L'Allied Coordination Committee (ACC) est un dérivé direct du CPC. L’ACC devient indépendant en 1958. Les deux organisations continueront d'exister simultanément avec des missions différentes. Si le CPC garde la coordination des actions, l’ACC prend en charge le Comité technique et le Comité de liaison.
Le procès-verbal de la première réunion de l’ACC stipule: « L’ACC est un comité régional .... dont le but est de fournir une consultation mutuelle et de développer des avis de politique en matière d’intérêts communs concernant le Stay behind dans les pays concernés de l’Europe occidentale. » « Les pays membres représentés par leurs services de sécurité, bien qu’ils agissent en consultation avec leurs autres partenaires, gardent néanmoins leur autonomie et le contrôle de leurs ressources nationales. »
Le principe de base est respecté, l’indépendance de chacun confirmée. Même si le CPC et l’ACC sont des unités du SHAPE, aucun lien direct avec l’OTAN n’est évoqué.
La Belgique prend en charge le secrétariat permanent de l’ACC en 1966 suite au déménagement de l’OTAN vers Bruxelles. Ce secrétariat est rattaché administrativement au SDRA sous la dénomination SDRA XI, son fonctionnement est lui entièrement financé par l’Alliance.
Bron: Cercle Royal Mars & Mercure | Périodique trimestriel de liaison et d'information | N° 4/2014 - vierde trimester 2014 en N° 1/2015 - eerste trimester 2015