Vandaag in La Dernière Heure:
Quarante ans après, de nouvelles données apparaissent dans l’enquête policière.
On a commémoré, le 9 novembre, le trente-huitième anniversaire de l’attaque du Delhaize d’Alost où huit personnes furent abattues le 9 novembre 1985, par ceux que les médias francophones nomment les tueurs du Brabant, les néerlandophones préférant parler de Bende van Nijvel, la bande de Nivelles. Ce fut leur dernier fait alors qu’ils étaient en pleine escalade – le niveau de violence s’accroissait encore – et qu’ils voyaient les enquêteurs dramatiquement impuissants. Alors pourquoi se sont-ils arrêtés ?
Avec son collègue Lionel Ruth, Eddy Vos est celui qui a dirigé l’enquête policière le plus longtemps : quinze ans à temps complet.
Pour le commissaire Vos, rencontré maintenant qu’il est en retraite, les tueries ont cessé parce que l’auteur principal, faute de mieux surnommé “Tueur”, a été abattu par un policier à Alost alors que les auteurs quittaient le parking du Delhaize. Sans l’auteur principal, la bande était décapitée. Le gang n’existait plus. Explications.
Smith et Wesson
Delhaize d’Alost, samedi 9 novembre 85. Arrivés à 19 h 39, les auteurs, au nombre de trois, sèment la terreur et exécutent huit clients sur le parking et dans le supermarché. Ils quittent les lieux dans la VW Golf GTI volée deux mois plus tôt à Erps-Kwerps. Ici non plus, ils ne se comportent pas comme les truands classiques qui démarreraient 'en trombe'. Deux auteurs prennent place à l’avant tandis que le troisième marche, sans précipitation, sur le parking, derrière la VW Golf, ne sautant qu’au dernier moment dans le coffre laissé ouvert.
En embuscade, un combi de la police d’Alost fait barrage à la sortie du parking où un policier attend, en position de tir. L’agent Eddy Nevens, par ailleurs instructeur de tir, vise l’arrière du véhicule et fait feu à trois fois reprises à l’aide de son arme de service, un Smith et Wesson calibre.38.
Le cycliste
Deux kilomètres plus loin, la VW Golf double un cycliste qui témoignera : selon lui, le hayon est grand ouvert. Eddy Vos en déduit que l’individu se trouvant dans le coffre – il ne peut s’agir que de Tueur – mis hors d’état, tué ou grièvement blessé, n’avait plus la possibilité de rabattre le hayon.
Les auteurs filent vers le bois de La Houssière, à 40 km de là.
A 20 h 01, la VW Golf brûle un feu rouge à Leerbeek. Un moment, un automobiliste se lance à la poursuite. Selon lui, le hayon du coffre est à présent refermé. Deux individus assis à l’avant. L’automobiliste ne voit pas de troisième homme. Pour Eddy Vos, cela confirme que celui qui se trouvait à l’arrière, dans le coffre, 'Tueur', est définitivement hors combat.
La Golf dans le bois
Episode suivant : il est maintenant minuit 30 et un couple d’automobilistes, les Clerbois qui traversent le bois de La Houssière, aperçoit deux individus près d’une VW Golf. La Golf est à l’arrêt sur le bas-côté droit de la route. Un corps gît près du véhicule – Joëlle Clerbois pouvait préciser qu’il avait les cheveux foncés – et l’un des individus debout agite les bras dans leur direction. Pour Eddy Vos qui relie les pointillés, tout se recoupe. L’homme à terre est 'Tueur', abattu à Alost par son collègue Nevens.
Plus tard, dans le même bois, un dernier témoin décrit des agissements suspects à proximité d’une décharge d’immondices. Selon lui, deux individus semblent transporter quelque chose, possiblement un corps.
Le malheur est qu’il a fallu vingt ans pour reconstituer cela. Le scénario complet n’a pris forme qu’en octobre 2004. Des fouilles auront lieu à La Houssière, à l’endroit indiqué par Philippe et Joëlle Clerbois. Elles n’amèneront pas la découverte espérée d’ossements humains, mais un résultat déterminant pour la suite : des douilles de munitions, et pas n’importe lesquelles.
Dans la mesure où l’on chasse à cet endroit, l’on pouvait s’attendre à trouver des munitions de chasse. Ce qui n’est pas le cas, diront les experts, mais bien de douilles de calibre 9 mm interdit pour la chasse. Le calibre est par contre compatible avec l’un des deux Ingram volés par la bande lors du vol d’armes dans l’armurerie Dekaise en 1982 à Wavre.
Dans ces bois de La Houssière d’une superficie de sept kilomètres carrés, les douilles sont trouvées à l’endroit précis désigné par les Clerbois. On ne croit pas à un hasard. Pour Eddy Vos toujours, tout se tient.
L’équipement d’un homme
Les auteurs étaient arrivés à Alost venant de Ternat par l’autoroute E40. Peut-être étaient-ils accompagnés par un second véhicule, une Mercedes 190 munie de plaques minéralogiques jaunes – françaises ? Après les faits, ils ont donc rejoint leur base de repli, ce bois de la Houssière qu’ils ont beaucoup fréquenté.
Là, les tirs du policier Nevens essuyés à Alost les auraient forcés à se débarrasser du cadavre de 'Tueur' ainsi que de ce dont ils n’auraient désormais plus besoin, ces dizaines d’objets qu’on allait retrouver l’année d’après dans le canal en aval de Ronquières, au lieu-dit Large de Fauquez.
Eddy Vos observe que ce qu’ils ont jeté là correspond à l’équipement d’une personne et d’une seule : un manteau, une veste pare-balles (or sept avaient été volées chez le fabricant Wittock-Van Landegem), etc.
L’enquête attribue à 'Tueur' 24 des 28 victimes de la bande, dont 7 des 8 tuées à Alost. 'Tueur' mis hors combat, le gang n’existait plus, les tueries ont cessé. Les deux autres, libérés de son emprise, pouvaient reprendre leur liberté. Tout s’arrêtait.
Les enquêteurs ont finalement renoncé à fouiller la fameuse décharge d’immondices. Dix-neuf ans s’étaient écoulés. Aujourd’hui elle n’existe plus.
Des gendarmes !
Les auteurs reviennent la nuit suivante du dimanche au lundi dans le bois de La Houssière afin de brûler, là, la VW Golf GTI.
On sait, avec le recul, que les enquêteurs ont joué de malchance. Des vérifications récentes ont en effet montré que des gendarmes de la task force de Nivelles se trouvaient dans ces bois peu avant la tuerie d’Alost. Vers 18 h 45, des témoins ont vu une voiture sombre et, près du véhicule, deux individus dont un, disaient-ils, portait une perruque et un riot gun.
Dès lors, on supposait qu’il s’agissait des auteurs qui se préparaient dans ces bois d’où ils seraient partis pour Alost.
Selon nos informations, des vérifications récentes ont établi que ceux qu’on prenait pour les auteurs étaient en réalité… une équipe de la BSR de Nivelles.
L'” homme à la perruque” était en fait un gendarme de la task force. Il ne portait pas de perruque et le soi-disant riot gun était en réalité un… détecteur de métaux. Cela a été vérifié.
Selon le témoignage, l’homme avait les cheveux crollés. Les enquêteurs ont retrouvé des photos d’époque de leur collègue, et la description correspond.
Il y avait donc des gendarmes dans les bois et ceux de Nivelles n’étaient pas les seuls. L’après-midi déjà, des collègues de la brigade de Soignies se trouvaient également dans les bois de La Houssière.
Il se confirme ainsi qu’il y avait du monde du côté de l’enquête, dans ces bois où les tueurs s’étaient déjà trouvés la semaine précédente, entre le 2 et le 9 novembre, puisqu’ils y ont brûlé divers objets (encyclopédies, magazines, chèques, etc). Du côté des enquêteurs là où ça se passait, mais malheureusement jamais au bon moment.
Gilbert Dupont