Assassinat ou crâne défoncé "par erreur"?
Curieux procès que celui qui se déroule, dans un climat de nervosité sans raison sérieuse, devant les assises du Brabant, pour juger un trio accusé d'avoir assassiné, un matin de novembre 1985, un consommateur du café L'Alhambra, boulevard Emile Jacqmain, à Bruxelles. Si le défilé des témoins de justice a permis de clarifier la situation, mardi après-midi, tout porte à croire que ce procès connaîtra encore bien des difficultés.
D'abord pour des raisons d'organisation pratique. Les diverses conclusions de la défense regrettant un certain nombre de défauts considérés comme autant de moyens de cassation en puissance ont causé des retards. Ensuite, plusieurs avocats importants en cette affaire sont attendus aux assises de Mons lundi prochain pour l'ouverture du procès de Josiane Debruyne (filière boraine). Pour des raisons de qualification enfin. On en reparle ci-dessous.
Dernier témoin de la journée, le médecin-psychiatre Rassamy Hen a fait grande impression. Il n'a pas seulement bien situé les prévenus par rapport à leur propre trajectoire de vie, mais il a jeté un éclairage précieux sur l'ensemble du drame.
Le psychiatre ne croit pas, au terme de ses minutieuses investigations, qu'Alain De Rouck ait vraiment voulu assassiner le pauvre John Pfaff, dont on a montré sur écran géant devant les jurés l'atroce dernier portrait, la moitié du crâne éclaté par une décharge de riot gun reçue à bout portant. Mais il a parlé de "scène de Western". Des jeunes qui vont jouer les durs, les cow-boys de deuxième zone, avec une arme qu'ils connaissent à peine. Tout ce drame se situe, rappelons-le, à une époque troublée de la vie nocturne bruxelloise: on avait abattu un "indicateur", poignardé une prostituée, assassiné un patron de bar martiniquais...
Pour le psychiatre, les trois accusés sont des personnalités pathologiques, avec des retards de toutes nature dus à une enfance fort perturbée, mais qui ne sont pas des malades mentaux pour autant et ne doivent pas entrer en ligne de compte pour bénéficier de la loi de défense sociale.
Cela part assez vite!
La présidente, Mme Lumen, a eu beaucoup de difficultés à maintenir dans des limites décentes la passe d'armes entre le défenseur d'Alain De Rouck, Me Jean-Paul Dumont, et l'expert en balistique M. Claude Dery. Il est vrai que celui-ci, en parlant du "contexte des déclarations", ou de "respect pour la défense", ou encore de "tueur selon l'expression des médias" faisait intervenir une série d'appréciations qui sortaient un peu des limites de sa mission. Ceci ajouté à une erreur manifeste (il parlait de canon scié alors qu'il n'en n'était rien) fut à l'origine de réactions violentes.
La question était de savoir si la détente de l'arme était sensible ou non. Pour l'expert, elle ne l'est point, ce qui signifie en clair que De Rouck aurait dû volontairement tirer sur la détente. La présidente prend l'arme dans ses mains et en fait l'essai. Le clic est rapide.
- Cela part assez vite! dit la présidente, dont les avocats de la défense pourront s'abstenir sans doute de considérer qu'elle n'instruit pas assez à décharge...
Qualifier...
On risque de se trouver bientôt devant une difficulté majeure de qualification. Tout le procès s'est engagé résolument sur un point précis: non, ce n'est pas un assassinat, c'est un accident. En donnant un coup de son riot gun au pauvre Pfaff, dont les officiers de justice ont dit qu'il n'avait pas de liens avec le "milieu", le coup est parti par accident. La qualification de départ est "homicide volontaire". On ajoutera sans doute d'autres questions. Homicide "involontaire"? Comme un malheureux accident de la route, avec un maximum de deux ans? Peut-être faudra-t-il, si l'on veut que le débat sur la peine reste à un niveau décent, repenser à ces "coups volontaires" avec quelques circonstances aggravantes objectives... On y reviendra, c'est sûr.
Bron: Le Soir | Guido Van Damme | 6 Februari 1989
Tous trois coupables
Après trois heures et demie de délibération, les jurés des assises du Brabant ont rendu leur verdict, hier, dans le procès d'Alain De Rouck, Philippe Rischard et Roger Boeckmans, poursuivis pour avoir tué de deux balles de riot gun, tirées à bout portant, le 19 novembre 1985, au café L'Alhambra, boulevard Emile Jacqmain à Bruxelles, un client de l'établissement, John Pfaff (34 ans).
Les jurés ont estimé que De Rouck était coupable de meurtre, -Rischard était co-auteur et Boeckmans complice. La préméditation n'a pas été retenue. Les débats sur la peine doivent avoir lieu ce vendredi matin.
La matinée de vendredi avait été consacrée aux répliques des défenseurs des trois accusés qui ont répété leurs principaux arguments et répondu à ceux avancés la veille par le conseil de la partie civile et par l'avocat général. La défense de De Rouck a aussi exprimé son désappointement de voir que la question de l'homicide involontaire qu'elle avait demandée la veille pour son client n'a pas été retenue par la cour et ne sera donc pas posée.
Les trois accusés ont exprimé une nouvelle fois leurs regrets. Leurs avocats ont rappelé que, pour eux, il n'y avait pas eu d'intention de tuer et brossé le rôle de chacun de leur client dans cette affaire.
Pas moins de vingt-deux questions ont été posées au jury, qui s'est retiré vers 14 h 35 pour délibérer. Et trois heures et demi plus tard il a rendu son verdict.
Bron: Le Soir | 17 Februari 1989
Des peines modulées pour les trois coupables
L'arrêt est tombé vendredi à la cour d'assises du Brabant qui jugeait Alain De Rouck, Philippe Rischard et Roger Boeckmans, reconnus coupables, la veille, d'un meurtre commis le 19 novembre 1985 vers 7 heures du matin au café L'Alhambra, à Bruxelles, les deux premiers en tant qu'auteur ou co-auteur, le troisième en tant que complice.
Ce jour-là, De Rouck a tué d'une seule balle de riot gun un consommateur du café, John Pfaff (34 ans), mais il a déclaré, et les deux autres accusés à sa suite, que le coup était parti accidentellement. Cette thèse le jury l'a donc écartée jeudi, puisqu'il a estimé qu'il y avait eu meurtre.
Avant l'arrêt rendu vendredi, la cour et le jury ont entendu les débats sur la peine à appliquer aux trois jeunes gens. Dans son réquisitoire, l'avocat général, M. Jean Spreutels, a estimé qu'une peine doit être proportionnelle à la gravité des faits et aux conséquences qu'ils ont eues, qu'elle doit aussi tenir compte du rôle de chacun ainsi que du danger social que représenter les accusés.
Il a souligné notamment qu'il s'agissait en l'occurrence de criminalité violente en bande. Pour les deux premiers accusés, la loi prévoit un peine incompressible allant de trois ans d'emprisonnement aux travaux forcés à perpétuité. Pour Boeckmans qui n'a, selon le jury, eu qu'un rôle de complice, l'échelle se situe entre deux ans de prison et vingt ans de réclusion. L'avocat général a toutefois souligné qu'il ne comprendrait pas une peine minimum, ni même une peine correctionnelle, à savoir cinq ans de prison. Il n'a cependant pas demandé le maximum de la peine et a fixé un plafond de vingt ans de réclusion en rappelant que c'est ce que les accusés auraient pu encourir devant le tribunal correctionnel pour des coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner lorsqu'il y a récidive.
Les regrets des accusés
La défense a, quant à elle, surtout plaidé les circonstances atténuantes, l'enfance malheureuse et demandé des peines que les accusés peuvent comprendre et accepter. "Il ne faut pas être les charognards de l'espoir", a conclu un des conseils.
Avant le délibéré, les accusés ont eu une dernière fois la parole. Alain De Rouck a répété qu'il regrettait profondément et sincèrement ce qui s'était passé et redit qu'il n'a jamais voulu en arriver jusqu'à la mort d'un homme. Il a émis l'espoir d'obtenir une peine juste qui lui permette de retrouver la femme de sa vie. Philippe Rischard a lui aussi exprimé ses regrets et déclaré qu'il ne voulait pas que cela se passe comme cela. Enfin Roger Boeckmans n'a plus su quoi dire si ce n'est qu'il ne comprenait pas.
Après deux heures de délibérations, la cour et le jury ont condamné Alain De Rouck à douze ans de travaux forcés, Philippe Rischard à sept ans de réclusion et Roger Boeckmans à deux ans d'emprisonnement. (D'après Belga.)
Bron: Le Soir | 18 Februari 1989