Rebondissements dans cette affaire vieille de 30 ans! Moustique apporte la preuve d’une manipulation de l’enquête, dès l’origine. “On” a trompé la justice et celle-ci s’est montrée très conciliante. Aujourd’hui, l’enquête redémarre. Par le bon bout?
Jeudi 6 novembre 1986. Canal de Charleroi, légèrement en amont du plan incliné de Ronquières. Des plongeurs lèvent la main en signe de victoire. Ils ont été sollicités par la “cellule Delta” de Termonde, qui enquête sur les tueries du Brabant. Vingt-huit morts. La plupart dans des grandes surfaces, à des heures de haute affluence.
Une série de braquages sauvages qui, durant la première moitié des années 1980, auront contraint les Belges à effectuer leur shopping sous l’œil d’hommes en armes postés sur les toits des magasins. Deux vagues de tueries. La première, du 30 septembre 1982 au 1er décembre 1983. La seconde, plus courte et plus sanglante, entre le 27 septembre et le 9 novembre 1985.
Cette année-là, le procès verbal 2420 du dossier d’instruction relatif à la filière boraine, suspectée à l’époque, avait déjà mené les policiers sur les berges du canal. Des témoins semblaient formels: le soir de la dernière tuerie, celle d’Alost, ils avaient vu des individus jeter des sacs dans l’eau. Les tueurs, vraisemblablement. Et pourtant, les enquêteurs de Nivelles étaient rentrés bredouilles.
Mais ce jeudi de novembre 1986, au lieu-dit le Large de Fauquez, la pêche de Ronquières s’avère miraculeuse. Sont notamment exhumées: des armes ayant servi en 1982-1983 comme en 1985. Une veste pare-balles volée à Tamise en 1983, et un mini-coffre volé à Alost en 1985. Un pistolet arraché à des policiers lors de la première vague de tueries, et des cartouches de Riot Gun n’ayant servi qu’en 1985. La deuxième opération menée dans les eaux noires du canal aura donc été la bonne. Enfin, la bonne …
La découverte en 86 des fameux sacs a conditionné les enquêtes des cinq juges d’instruction qui se sont épuisés sur les traces des tueurs. Cette pêche de Ronquières a établi un lien jugé manifeste entre les attaques de la première et de la seconde vague. Assurément opérée par une seule et même bande, pensait-on. Mais aujourd’hui, l’enquête rebondit! Désignée en mai 2009, la juge d’instruction Martine Michel a récemment fait examiner une partie du butin de Ronquières auprès de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC).
Et, surprise, il apparaîtrait que les pièces à conviction repêchées en novembre 1986 n’ont pas pu rester durant un an dans les eaux du canal de Bruxelles-Charleroi. Si cela avait été le cas, des billets porteurs d’encre auraient été réduits en bouillie. Les armes auraient été oxydées. Une révolution mentale… Ce ne sont pas nécessairement les tueurs qui ont balancé le butin à l’eau. Et certainement pas en 1985!
Ces nouveaux éléments matériels démontreraient une énorme manipulation. Les indices auraient donc été mélangés pour créer un lien artificiel entre toutes les tueries. Cela, on s’en doutait… même si, pendant plus de vingt ans, les juges et les enquêteurs ont été aveuglés par cette hypothèse. Plus étonnant: la justice pourrait être passée à côté d’un indicateur.
Les plongeurs de 1986 ont eu la tâche aisée. Comme si quelqu’un leur montrait où chercher en dessinant une croix sur l’eau. Pourrait-on retrouver cet éventuel informateur, susceptible de dénoncer les tueurs? Et que penser de l’attitude des policiers de Termonde qui ont repêché les sacs? Ont-ils dit toute la vérité? L’un d’entre eux aurait-il pu manipuler l’enquête? L’envoyer sur une fausse piste?
Pour percer le mystère, les nouveaux enquêteurs dirigés par Martine Michel ont utilisé les grands moyens. Ils ont entendu un à un, deux par deux, les policiers qui avaient procédé aux fouilles de Ronquières. Pourquoi ont-ils trouvé ce que d’autres n’avaient pu extraire de la vase un an plus tôt? Sur quelle base les plongeurs ont-ils rapidement exhumé les sacs? A ces questions, ils auraient apporté des réponses divergentes… Des contradictions intrigantes pousseraient les enquêteurs à vouloir en savoir davantage. D’autant que le coup de pied dans la fourmilière semble délier les langues.
Sur un site monté aux Pays-Bas par un mystérieux “Ben”, un forum public a mis récemment en présence des copains d’alors manifestement très au fait des opérations de Ronquières. Une demi-douzaine de chatteurs s’y expriment comme des gendarmes, alignent force détails et défendent une thèse qui suggère que des enquêteurs auraient pu eux-mêmes mêler les indices jetés dans le canal.
Ils jugent en tout cas que ces éléments ont été dispersés en 1986 et non en 1985 – le rapport de l’INCC confirmant cela. Ce n’est pas banal: un forum public si bien informé et où, trente ans après les faits, sont partagés des documents inédits. Qui sont ces chatteurs éclairés se réfugiant derrière les pseudonymes Merovinger, K& ou The End? Pourraient-ils aider à débusquer les tueurs du Brabant?
Il semble incroyable que le mystère de Ronquières n’ait pas été percé plus tôt. La deuxième des commissions d’enquête parlementaire consacrées aux tueries avait pourtant ouvert une voie royale, en 1997: “La commission a (également) découvert dans le dossier des éléments pouvant indiquer que les enquêteurs ont pu être manipulés. La commission estime qu’une instruction complémentaire s’impose sur ce point”, lit-on dans ses conclusions. En quinze ans, cette possible manipulation n’avait jamais fait l’objet de “l’instruction complémentaire” suggérée! Jusqu’aux récentes opérations policières, donc.
Interrogé par nos soins, l’ancien juge d’instruction de Termonde Freddy Troch, qui menait les auteurs de la pêche miraculeuse de 1986, lâche ce commentaire laconique: “Il aurait été mieux qu’on n’ait rien trouvé, ce fameux 6 novembre 1986! Je pourrais écrire un livre à ce propos… Ce que je peux assurer, c’est qu’à ma connaissance, mes hommes n’avaient pas d’indicateurs”.
Mais le juge Troch aurait-il pu le savoir alors que la commission d’enquête parlementaire de 1997 a conclu que “le juge d’instruction (Troch) n’était pas et n’est toujours pas au courant des dispositions particulières prises par les enquêteurs”? Une conclusion que Freddy Troch, aujourd’hui encore, conteste formellement …
A Moustique, Freddy Troch déclare que “ceux qui ont déposé les sacs – mais qui?, c’est la question – ont voulu prouver qu’il existait des liens entre les tueries de 1982-83 et celles plus sanglantes de 1985. Il y a là une forme d’organisation. Pour moi, en tout cas, tout s’est arrêté en 1990. J’ai été dessaisi du dossier dans des circonstances que je n’accepterai jamais et alors que je proposais de réunir à Bruxelles les meilleurs enquêteurs travaillant en parallèle sur des dossiers qu’il aurait fallu joindre. Nous aurions pu trouver, à l’époque. J’en suis certain”.
Les tentatives de Martine Michel, sixième juge d’instruction en charge du dossier, sont en tout cas celles de la dernière chance. La méthode de travail de cette magistrate de 51 ans parait basique mais efficace. Cette spécialiste des affaires criminelles s’est concentrée sur les trente dernières heures de la saga meurtrière.
Imaginant là un moment de faiblesse des tueurs. La juge Michel et son greffier ont patiemment classé et archivé les onze mètres de boîtes empilées qui gisaient dans les couloirs du palais de justice de Charleroi. Certaines ont dû être récupérées… notamment chez des experts. Il suffisait d’y penser et d’y mettre la volonté.
Ranger un dossier qui compte aujourd’hui plus d’1,2 million de pièces, organiser par noms de suspects, faits, dates d’agressions, indices ou armes, imputer les portraits-robots à des attaques précises: cela n’avait jamais été fait de manière méthodique. Pendant plus de vingt ans, l’enquête s’est enlisée au point que, bien sûr, aucun des 28 meurtres n’a été élucidé, mais même pas un des délits liés au dossier, pas le moindre vol de voiture, rien. Au point que dans cette affaire, apparemment sans indicateur, la prime de 250.000 euros promise par Delhaize n’a jamais trouvé preneur…
Mais, pour la première fois, l’espoir renaît vraiment. Avec des preuves formelles de manipulation, des témoins ou des complices d’une manœuvre dilatoire, un possible indicateur… Et d’autres surprises pourraient suivre, jusqu’à mener la juge Michel au but.
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