Réseau “Gladio”: le “patron” des espions s’exprime pour la 1ère fois depuis 1991

Pour les 100 ans du service secret militaire, le SGRS lève un coin du voile sur l’un de ses services les plus controversés, le “réseau stay-behind” aussi connu sous le nom “Gladio”. Pendant 40 ans, des civils et des militaires ont organisé des “exercices” pour se préparer dans le plus grand secret à “résister” à une occupation du territoire par la Russie “communiste” (URSS à l’époque). Le contexte de création de ce réseau clandestin est celui de la guerre froide au lendemain de la guerre de Corée.

L’existence de cette organisation clandestine a été révélée pour la première fois en 1991 par l’aile italienne de ce réseau à dimension européenne. Et un an plus tard, les responsables politiques belges ont ordonné sa “dissolution”. Aujourd’hui le colonel Bernard Legrand, dernier “patron” de ce service clandestin sort de l’ombre et raconte le contexte dans lequel travaillait ses équipes. Il revient aussi sur les soupçons qui ont pesé sur lui et ses compagnons dans les dossiers non élucidés des années 80…

Militaires et “civils” dans un même réseau clandestin

Le “SDRA – 8” était composé d’une douzaine d’instructeurs militaires quasi tous issus des unités para-commandos. Ceux-ci s’appuyaient sur un réseau “civil” d’une quarantaine d’agents recrutés par les militaires dans tous les secteurs de la société. Le but de ces agents “civils” était d’obtenir des “renseignements” utiles et les transmettre pour assister les prises de décision d’un gouvernement belge exilé dans un pays étranger (situation similaire durant l’occupation allemande en 1940-44). Ces “civils” occupaient des postes jugés stratégiques pour recueillir des informations.

Protection des agents par l’anonymat: une règle absolue

Pour garantir sécurité et efficacité, les agents civils étaient recrutés par les militaires au terme d’une longue procédure (parfois un an) destinée à évaluer leur fiabilité. Une fois recruté, l’agent ne pouvait rien dire, pas même aux membres de sa famille. En contrepartie, le service s’engageait à son tour à ne jamais révéler son identité. Tous les noms des agents étaient “codés” et enfermés dans des coffres scellés et placés à Londres et Washington.

Cloisonnement des personnes et des actions

Principe de base: chaque agent ne connaissait que son “instructeur”. Lors d’une mission (un exercice), les agents ne se connaissaient pas. Seuls les instructeurs pouvaient les connaître. Chaque agent était “sollicité ” régulièrement et dirigé alors vers un lieu “X” par son instructeur, tantôt pour participer au “transit” d’un agent étranger qui traversait clandestinement l’Europe, tantôt pour accueillir et caché un parachutiste venu d’un pays étranger, ou encore pour se rendre à un endroit où pouvoir “émettre” des messages codés à destination de Londres ou de Washington.

Un “Comité international” pour diriger les opérations

Si chaque pays participant restait “indépendant” dans la gestion de son réseau, une structure clandestine internationale était indispensable pour coordonner certains exercices communs. Et pour se préparer en cas d’occupation à une risposte concertée.

Le “commandement” était installé à Bruxelles où des réunions régulières se tenaient. Les membres disposaient tous d’une “couverture” officielle qui permettait de “leurrer” ceux qui ne devaient pas en connaître. En ce compris au sein des structures militaires. Seuls trois ministres par pays membre étaient au courant de l’existence de la “structure clandestine”.

Dérapages en Italie, les “réseaux” sont soupçonnés d’encadrer des actions terroristes

Plusieurs “attentats” à la bombe en Italie fin des années 70 début 80 font des dizaines de morts. Les enquêtes judiciaires pointeront vers des responsabilités au sein du service secret militaire (le SISMI). Le scénario d’une stratégie de la “tension” destinée à faire peur aux citoyens prend naissance. Le SISMI aurait “manipulé” des extrémistes de gauche et de droite pour influencer l’électorat en faveur d’ un retour aux forces politiques incarnant “l’Ordre”.

Commission sénatoriale d’enquête en Belgique

En Belgique, le “Gladio” belge sera également suspecté d’avoir participé à des “manipulations” identiques. Avec le scénario d’une “couverture” permettant d’attribuer à des “organisations” fusibles, le WNP à droite, les CCC (cellules communistes combattantes) à gauche, la paternité des “opérations” de déstabilisation.

Une commission d’enquête sénatoriale tentera en 1992 d’y voir clair. Sans succès. On peut consulter ses conclusions sur le site du Parlement. Les noms des agents civils ne seront finalement jamais communiqués malgré des “garanties” judiciaires offertes. Par respect de la parole donnée diront les militaires. Et Bernard Legrand mis sur la sellette ne pourra qu’amener les parlementaires à constater que les enquêtes judiciaires n’apportent pas d’éléments probants d’une quelconque participation de “son” réseau.

Colonel Legrand: “le service italien était infiltré par la maffia”

Mais le colonel Bernard Legrand concède que les anomalies observées en Italie aient pu conduire à soupçonner son service: “En Italie, il y a eu une infiltration des services clandestins par la mafia italienne. J’ai pu observer lors d’exercices qu’ils n’ont pas cloisonné comme nous entre les agents civils. Les agents se connaissaient ce qui a facilité les dérives et la perte de contrôle. (…) Ils ont aussi conservé une branche “sabotage” jusqu’au bout, ce que nous n’estimions plus utile en Belgique depuis longtemps vu les moyens modernes d’opérer des destructions ciblées”.

Sur l’existence d’éventuels “exercices” de son service lors des dates correspondant aux principales attaques de grands magasins (27 septembre et 9 novembre 1985) il réagit: “J’ai eu des réunions avec mes instructeurs pour être attentif sur cette question. Des consultations d’agendas (…). J’ai la certitude que strictement rien d’anormal ne s’est passé”.

Chute du mur de Berlin et dissolution du service

En 1991 après la “révélation” de l’existence du réseau italien, les autorités politiques belges décident d’opérer une “restructuration” des services en faisant disparaître de l’organigramme du SGRS le “service 8”. La chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS rendaient désormais peu crédible le scénario futur d’une “invasion communiste”. Les “budgets” seront alors récupérés pour être affectés à d’autres départements…

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