Un ancien espion russe doute de l’histoire de Robert Beijer

L’ancien gendarme belge affirme avoir travaillé pour le renseignement militaire soviétique. A Moscou, un ancien du GRU conteste. Un ancien officier du GRU, le service de renseignement extérieur de l’armée russe, met sérieusement en doute les propos de Robert Beijer qui, à l’occasion de la sortie de son livre Le dernier mensonge en février dernier, affirmait avoir travaillé pour ce service secret soviétique pendant les années de plomb en Belgique.

Cet officier, aujourd’hui âgé d’une septantaine d’années, a accepté de parler sous le couvert de l’anonymat. Il a été contacté par La Libre à Moscou. Il affirme qu’il est très peu probable que Robert Beijer ait travaillé pour le GRU car plusieurs incohérences apparaissent dans sa thèse qu’il qualifie de “folklorique”.

L’ancien officier travaillait autrefois à la division Europe du GRU. Il dit qu’il n’y a pas de traces du nom de Beijer dans les archives du renseignement extérieur soviétique, pas plus que de son père, un certain “Herman”, que l’ancien gendarme belge présente comme son vrai géniteur. Les archives du GRU, toujours en activité, et du KGB ne sont pas accessibles au public.

Le fait qu’il n’y ait pas de dossier au nom de “Beijer” dans les archives ne signifie pas que Beijer ou son père n’aient pas, d’une manière ou d’une autre, collaboré avec les services secrets soviétiques. Mais ce qu’il trouve hautement suspect, c’est l’affirmation de Robert Beijer que les agents soviétiques lui auraient confié que son père était “un officier soviétique”.

Beijer, un ancien gendarme et ex-gangster dont le nom apparut dans de nombreux dossiers des années de plomb, dont les tueries du Brabant, écrit dans son livre que jeune étudiant, il fut approché par des agents soviétiques, en 1970, alors qu’il jouait aux échecs dans le café “Le Greenwich” à Bruxelles. Ces agents l’informèrent que son vrai père n’était pas le sien, mais un certain Herman, un Luxembourgeois, germanophone, étudiant à l’ULB en journalisme dans les années cinquante et brillant journaliste freelance.

Que Beijer ait été approché dans un café alors qu’il jouait aux échecs correspond à la technique du GRU d’alors de ratisser les lieux publics à la recherche d’une recrue éventuelle. Mais jamais ces agents n’auraient pu révéler que son père était “un officier soviétique”.

Primo: les services secrets soviétiques n’avaient pas l’habitude de révéler à qui que ce soit, même à leurs enfants, le nom de leurs agents, affirme cette source. Secundo: le père présumé de Beijer ne pouvait pas être “un officier soviétique” car ce n’était possible qu’au cas où il était citoyen soviétique clandestinement établi et naturalisé en Belgique sous un faux nom.

Enfin, l’ex-agent soviétique ne croit pas du tout à la thèse de Beijer selon laquelle il aurait été recruté pour déstabiliser la Belgique et “miner discrètement le système de l’intérieur” . L’URSS, malgré son agressivité à l’égard de l’Occident et de l’Otan, avait d’autres chats à fouetter que de miner la gendarmerie belge.

Beijer affirme dans son livre – mais sans donner le moindre détail – qu’il a suivi dans les années 70 plusieurs formations à l’espionnage qui l’amenait notamment à voyager via l’aéroport de Split (Trogir), en ex-Yougoslavie. Lors de ces stages, écrit-il, il apprenait “à être gris, inodore, sans saveur, passer inaperçu mais en étant toujours présent”.

Ce n’est pas la première fois que Beijer avance une telle thèse. Son avocat Me Pierre Chomé témoigne: “Vers 1989, Beijer m’expliquait déjà cette histoire des services secrets et évoquait un certain Mosseiev qui avait des liens avec les phalangistes libanais , explique-t-il . Puis au cours de son procès (devant la cour d’assises du Brabant, à Nivelles, ndlR) en 1994, on a tenté de joindre au téléphone les deux noms que Beijer m’avait donnés. On a téléphoné à l’ambassade de Russie à Paris et demandé à parler aux deux agents (du GRU) . On a l’impression qu’on va nous passer les types. Le lendemain, on retéléphone. On nous dit qu’ils n’existent pas et qu’il ne faut plus retéléphoner. Ce n’est bien sûr qu’une impression. Pour une vérité judiciaire, il faut plus qu’une impression.”

Pour tirer l’affaire au clair et demander des précisions, La Libre a contacté Robert Beijer, qui vit entre la Belgique et l’étranger. Mais l’ancien gendarme n’en dit pas plus. Doté d’un solide sens commercial, il ajoute qu’un second livre est en préparation et que celui-ci éclairera la question du lien avec les services soviétiques. “Sachez que souvent le pouce ne sait pas ce que fait l’annulaire”, dit-il, en référence aux doutes de l’ancien officier du GRU.

“Beijer est un type extrêmement intelligent, qui prépare toujours le coup suivant et laisse peu de place à l’improvisation” , sourit Me Chomé. Bref, un vrai joueur d’échecs.

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