On commémore dimanche le 40ème anniversaire de la tuerie d’Alost (8 morts, le 9 novembre 1985), dernier fait attribué aux Tueurs du Brabant (28 victimes, entre 1982 et 1985). Nous retrouvons Eddy Vos dans le bois de La Houssière (Braine-le-Comte), que les auteurs ont beaucoup fréquenté. Pour le commissaire qui a codirigé l’enquête pendant 15 ans, “la solution se trouve ici”. L’endroit qu’il nous indique, le trou du Marouset, n’a jamais été fouillé.
Ils étaient trois, que les enquêteurs ont surnommés ‘Vieux’, ‘Géant’ et ‘Tueur’. Tueur, présent dès 1982, aurait, à lui seul, tué 24 des 28 victimes. Le 30 septembre 85, se déplaçant à bord d’une VW Golf GTI anthracite volée le 22 à Erps-Kwerps (Leuven) sur les parkings D’Ieteren, ils avaient déjà attaqué deux Delhaize à Braine-l’Alleud (3 tués) et Overijse (5).
L’attaque suivante a lieu le 9 novembre, un samedi, au Delhaize d’Alost. Arrivés à 19 h 39, ils repartiront avec un butin de 737 777 francs belges (l’équivalent de 44.500 euros). Huit clients sont tués, dont deux enfants. Au moment de quitter le parking – vers 19h50 -, la Golf essuie trois tirs d’un policier d’Alost. Ce policier, Eddy Nevens, vise le coffre dans lequel l’un des auteurs – tueur – se trouve. Nevens est également moniteur de tir. Son arme est un Smith et Wesson calibre.38. “J’ai senti que je l’ai eu”, dira-t-il.
La suite suggère qu’il ne se trompait pas. Après 2 km et à hauteur du pont de la Ninovesteenweg, la Golf double un cycliste qui ne voit personne dans le coffre mais le hayon dira-t-il, était resté ouvert. À 20 h 06 ensuite, la Golf, qui a passé Ninove, brûle, à Leerbeek, le feu (rouge) du carrefour Hogenberg. Un automobiliste est tenté de se lancer à la poursuite. Il voit deux hommes assis à l’avant et le hayon est à présent refermé. Lui non plus n’a donc vu personne dans le coffre.
Reliant les pointillés, les enquêteurs déduisent des deux témoignages que l’individu dans le coffre sur lequel Nevens a tiré trois fois, a effectivement été atteint – blessé ou tué, en tout cas mis hors de combat.
L’épisode suivant s’inscrit dans le scénario. Il est maintenant minuit trente et deux couples en voiture, rentrant de discothèque vers Braine-le-Comte, traversent le bois de La Houssière. Au lieu-dit chapelle au Foya, rue du Pire, ils aperçoivent, dans les phares, sur le bas-côté, deux silhouettes près d’une Golf sombre.
L’un des hommes fait signe. Ils ont le bon réflexe de ne pas s’arrêter. Selon le couple Clerbois assis à l’arrière, il y avait une “masse , à terre, près de la Golf”. M Clerbois nous le confiait encore en 2013: “Aucun doute, c’était un corps”. Pour Eddy Vos, tout se tient. Le corps à terre est celui du tueur qui se trouvait à l’arrière dans le coffre et que le policier Nevens a donc bel et bien atteint mortellement.
Témoignage clé
Plus tard, la même nuit, un dernier automobiliste voit deux hommes “portant quelque chose, qui pourrait être un corps dans un tapis, entrer dans les buissons”. Nous sommes maintenant à hauteur de la décharge du Marouset, à la sortie du bois. Si seulement le témoin s’était manifesté! Mais il se tait, malheureusement, pendant 19 ans. Il avait ses raisons: une histoire de femme. Parler l’exposait au risque de devoir révéler une liaison extra-conjugale.
Il s’est tu et ce n’est qu’en septembre 2004, lorsque des fouilles, déclenchées par le témoignage des Clerbois, auront lieu dans le fameux bois, qu’il réalisera l’importance de ce qu’il a vu la nuit du 9 novembre 1985. Il contactera Eddy Vos et lui remettra la lettre qu’il avait rédigée en 85, dans l’enveloppe qu’il avait eu l’intention de poster – mais avait renoncé – dix-neuf ans plus tôt.
Dix-neuf ans perdus.
“Tout se recoupe”
Pour Eddy Vos, tout se recoupe. ‘Tueur’, qui se trouvait dans le coffre, a été mortellement blessé par Nevens. Les deux autres se sont débarrassés du corps dans la décharge du Marouset, pas éloignée du lieu où ils ont brûlé la Golf la nuit suivante.
S’ajoute le fait que deux douilles ont été trouvées lors des fouilles menées en 2004 à l’endroit indiqué par les Clerbois: du 9 mm court. Interdit à la chasse, le calibre correspond à celui des deux PM Ingram volés en 1982 chez l’armurier Dekaise à Wavre. Ces armes n’ont pas servi mais des témoins d’Alost ont décrit qu’un des auteurs portait effectivement ce genre d’arme.
Encore une fois, tout se tient. Le fait que Tueur ait été atteint à Alost expliquerait aussi la trace de sang trouvée sur le gilet pare-balles retiré en 86 du canal de Charleroi, au large de Fauquez : le pare-balles de ‘Tueur’.
‘Tueur’ étant le numéro 1, le mâle alpha de la bande, son élimination explique que les tueries se soient arrêtées, tout simplement.
Dernier témoignage
Avec un témoin qui se tait pendant 19 ans, les enquêteurs n’ont pu reconstituer l’enchaînement qu’en septembre/octobre 2004. À ce moment, la décharge du Marouset était fermée depuis quinze ans. Mais un cubage phénoménal de déchets de toutes sortes y avait été déversé entre 1985 et 1990.
Eddy Vos: “Nous avons considéré qu’entreprendre des fouille s’était trop lourd”. Aujourd’hui retraité, le policier voit les choses différemment: “N’aurait-il pas fallu? À l’époque, nous avions d’autres pistes. Mais aujourd’hui qu’il nous reste celle-là, pour quoi ne pas étudier la faisabilité. Est-ce vraiment impossible? Bien sûr, je me rends compte de l’ampleur de la tâche. Mais on pourrait commencer par la partie proche de la route. Le corps se trouve là . Pour moi, il est là. Est-ce vraiment impossible? Je m’interroge. On disait aussi qu’on ne retrouverait jamais le Titanic.”
Pour Eddy Vos, retrouver le cadavre, même ce qu’il en reste, “apporterait certainement la solution”.
Pascal Beeckman, que nous retrouvons sur place, est employé au centre de tri de Braine-le-Comte. Il connaissait les lieux en 1985 et nous l’a confirmé: “Le trou du Marouset a été compacté et nivelé, mais ce qui se trouvait dans le sous-sol doit forcément s’y trouver encore”.
Un dernier point. Eddy Vos est formel. “La lettre du ‘témoin de la décharge’ a été saisie et versée au dossier.”
Hommage dimanche
Les tueries du Brabant se sont arrêtées après celle d’Alost, il y aura, dimanche, quarante ans. Des familles seront présentes à l’hommage qui sera rendu, comme chaque année, sur le parking du Delhaize, à Gilbert Van der Steen (42 ans), son épouse Marie-Thérèse Van den Abiel (38), leur fille Rebecca (14), Dirk Nays (35), sa fille Élise (9), Marie-Jeanne Mulder (33), Georges De Smet et Jan Palsterman.
Bron » La Dernière Heure | Gilbert Dupont