L’ex-gendarme Philippe Vermeersch est accusé de dissimuler le nom d’un informateur qui pourrait mener aux tueurs du Brabant. Ceci dans le contexte des fouilles de Ronquières en 1986 que les enquêteurs disent avoir été manipulées en s’appuyant sur un rapport de l’INCC. Mais n’est-ce pas ce même rapport qui est manipulé?
L’interpellation et la mise sous mandat d’arrêt de Philippe Vermeersch (62 ans), l’ancien adjudant de gendarmerie membre de la cellule Delta de Termonde, autrefois chargée d’une partie des investigations sur les tueries du Brabant, a provoqué la sensation la semaine dernière. Et ce mardi matin, c’est un autre gendarme retraité, F.A., qui a lui aussi été entendu par les policiers fédéraux de Charleroi qui enquêtent sur le dossier des tueries. Ces énièmes “rebondissements” de l’affaire sont à mettre en relation directe avec la découverte, en novembre 1986, dans le canal Bruxelles-Charleroi à Ronquières, d’importantes pièces à conviction.
À l’époque, le groupe Delta placé sous la direction du juge Freddy Troch qui instruisait notamment le dossier de la tuerie d’Alost, était parvenu à retirer des eaux canalisées une partie de l’arsenal et du butin des tueurs (Des armes impliquées dans les faits de 1982-1983; des morceaux de gilets pare-balles volés à Tamise en 1983; des chèques dérobés au Delhaize d’Alost), le tout emballé dans des sacs en plastique. Selon la version adoptée depuis longtemps, c’est la nuit du 10 au 11 novembre 1985, soit le lendemain de l’attaque d’Alost, que les auteurs se sont débarrassés de ces pièces compromettantes en les balançant dans la voie d’eau. Le sondage de celle-ci n’avait toutefois pas permis de les retrouver.
Ce n’est donc qu’un an plus tard qu’elles avaient été remontées à la surface, à la faveur d’une nouvelle plongée réalisée cette fois à l’initiative de la cellule Delta et confiée aux plongeurs militaires du 6e bataillon de génie de Burcht. Les enquêteurs de Termonde ainsi que le juge Troch ont toujours expliqué que ce qui les avait incité à resonder la vase de Ronquières, c’est la relecture de procès-verbaux établis par leurs collègues de Nivelles (en charge d’autres faits reliés aux tueries) au sujet de témoignages relatifs aux agissements de la nuit du 10 au 11 novembre 1985 qu’ils ignoraient. Or, chez Delta, c’est Philippe Vermeersch qui aurait reçu copie de ces P.V. par l’entremise de F.A., membre à l’époque de la BSR de Hal. C’est du moins la version maintenue à toute force par Vermeersch et les anciens de Delta.
Seulement voilà : à la cellule Brabant Wallon de Charleroi (CBW), on ne croît pas à cette histoire. Depuis 2014, les responsables de l’enquête, singulièrement le procureur du Roi de Liège, Christian De Valkeneer (parti depuis), et la juge d’instruction Martine Michel, affirment en substance que la “pêche miraculeuse” de 1986 est le fruit d’une manipulation. Ils disent avoir acquis la conviction que ce ne sont pas les fameux P.V. qui ont conduit Delta à Ronquières, mais quelqu’un (un informateur) que Philippe Vermeersch cacherait. D’où la charge de “rétention d’information” retenue contre lui. Une accusation gravissime, puisqu’elle suggère que l’ex-gendarme détiendrait un tuyau permettant peut-être d’identifier une personne ayant su où trouver les armes des tueurs du Brabant.
Pour étayer leur conviction, les magistrats et les enquêteurs carolos qui parlent de “certitude scientifique” depuis quatre ans, disent s’appuyer sur une analyse de l’INCC (Institut national de criminalistique et de criminologie), laquelle montrerait que les éléments matériels repêchés à Ronquières n’ont pas pu séjourner au fond du canal une année durant (entre 1985 et 1986), mais quelques jours tout au plus. Ceci en raison de l’état de dégradation trop peu avancé des pièces, notamment le degré de conservation des chèques volés à Alost. Et puis, surtout, il est question d’une tache de sang au niveau du col d’un gilet pare-balles, une trace génétique potentiellement attribuable à l’un des tueurs. Cette trace, nous dit-on, n’aurait jamais pu fournir un ADN exploitable si elle avait été immergée plus de quelques jours.
Le rapport escamoté de l’INCC
Selon les informations de Paris Match, recoupées à plusieurs sources, la “certitude scientifique” dont on se prévaut à Charleroi n’existe pas. Elle doit en tout cas être fortement nuancée dès lors que l’on fait dire à l’analyse de l’INCC ce qu’elle ne dit pas. En revanche, celle-ci contient des informations importantes étonnamment passées sous silence. Au sujet des chèques tout d’abord. L’Institut a procédé à des tests sur site, mais sans pouvoir maîtriser totalement les paramètres de l’époque et les conditions de conservation durant vingt-huit ans. Dès lors, les experts de la police scientifique n’ont pas été en mesure d’exprimer de résultats scientifiquement valables. Pourquoi ne le dit-on pas? Pareillement en ce qui concerne les armes. Là encore, pour diverses raisons techniques, aucun résultat probant n’a été produit.
Reste alors uniquement la fameuse trace biologique trouvée sur le gilet pare-balles. C’est au début des années 2000 qu’elle avait été mise en évidence dans les laboratoires de Bio.be à Charleroi. Afin de vérifier si elle a pu résister à une immersion d’une année, l’INCC a procédé à une simulation qui a consisté à plonger, dans le canal à Ronquières et dans des conditions identiques, une nouvelle tache de sang humain. Au bout de quelques jours seulement, l’ADN de cette dernière avait été totalement dégradé. Conclusion imparable : si le gilet pare-balles était demeuré un an dans l’eau, fatalement Bio-be n’aurait jamais pu en extraire un ADN exploitable.
Troublant, en effet. Mais encore faut-il pouvoir écarter toute possibilité d’une contamination accidentelle ultérieure du gilet par un quidam (un policier, un scientifique, un greffier…). Le fait que la trace se situe à l’intérieur du gilet, entre le tissu et le kevlar, ne semble pas écarter cette éventualité. Précisément, les experts ont interpellé la juge d’instruction et les enquêteurs à ce sujet, en raison de la gestion et de la manipulation calamiteuses des pièces à conviction du dossier des tueries, lesquelles sont passées entre des dizaines de mains au fil des années.
En outre, à l’INCC, un autre point a été soulevé. Il concerne directement la nature de l’ADN trouvé à l’endroit de la tache de sang. Quelles certitudes a-t-on que cet ADN provient bien de celle-ci? Car si l’ADN d’une trace biologique peut totalement disparaître, un autre ADN, étranger à la trace, peut parfaitement venir se superposer à celle-ci par la suite. En clair et par hypothèse, un opérateur de laboratoire par exemple, qui serait entré en contact avec la tache de sang aurait très bien pu y déposer son propre ADN. Or, selon notre enquête, les pièces à conviction de Ronquières ont transité par les laboratoires d’Alost, de Bruxelles et d’Anvers avant d’atterrir des années plus tard à Charleroi chez Bio.be. C’est-à-dire au milieu des années 80, à une époque où les connaissances dans le domaine de la génétique étaient bien mois avancées et où les mesures de précaution prises pour éviter les risques de contamination des échantillons d’ADN n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, il ressort de tout ceci qu’il est parfaitement abusif de se prévaloir de “certitudes” sur base d’un rapport de l’INCC qui, s’il n’est pas manipulé par la cellule de Charleroi, est à tout le moins escamoté. C’est pourtant à ces “preuves scientifiques” que l’on confronte les témoignages des ex-membres de Delta, dont Philippe Vermeersch. Quel que soit le rôle joué par ceux-ci dans cette affaire rocambolesque, la loyauté et la transparence que l’on attend des instances judiciaires commandent que l’on tienne compte des doutes et des nuances qu’exprime ce rapport.
Bron » Paris Match | Frédéric Loore